
Depuis quelques semaines, les réseaux sociaux connaissent une recrudescence de la désinformation et des messages de haine visant la Côte d’Ivoire. Certains de ces messages ciblent directement le président Alassane Ouattara, tandis que d’autres s’attaquent au pays dans son ensemble. Une grande partie des auteurs de ces propos se présentent comme des ressortissants ou des soutiens de l’Alliance des États du Sahel (AES).
1. Les propos d’Alassane Ouattara déformés par le biais d’un détournement de media
Le 19 octobre, un compte X, connu pour diffuser régulièrement des fausses informations, a posté la question suivante : « Quel valet local VIP de la @ecowas_cedeao a déclaré : je ne dois rien à personne, sauf à la France ? » Dans les commentaires, plusieurs internautes ont répondu à cette question tendancieuse en affirmant qu’il s’agissait d’Alassane Ouattara, accompagnant leurs réponses d’insultes.
Un autre internaute se faisant appeler Lionne de l’AES a partagé une image qui ressemble à une Une du journal Jeune Afrique, où une photo du président Ouattara est présentée avec le titre « Je ne dois rien à personne, sauf à la France ». L’auteur du post a accompagné la publication avec ce commentaire : « L’histoire retiendra de toi le plus grand traître de l’Afrique ». Il semble que beaucoup croient que le président ivoirien a vraiment prononcé cette phrase.
Cependant, une recherche inversée menée par BenbereVerif a révélé que la vraie Une de Jeune Afrique, partagée le 31 mai 2011, mentionne plutôt : « Je ne dois rien à personne, sauf aux Ivoiriens ». Ce propos a été tenu lors d’une interview par Marwane Ben Yahmed, où M. Ouattara répondait à la question de sa légitimité à diriger après avoir accédé au pouvoir avec le soutien des groupes armés et des forces françaises.
Plusieurs médias ont vérifié ce détournement de media, comme Assoblog ou RFI, mais les citations falsifiées d’Alassane Ouattara refont surface année après année.
2. La Côte d’Ivoire « ne produit rien »
Un compte X nommé AES Diaspora a partagé une vidéo dans laquelle un homme déclare que « le peuple ivoirien est le plus minable de l’Afrique de l’Ouest » et qu’il « ne produit rien ». Pourtant, les données disponibles montrent que la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus performants économiquement en Afrique de l’Ouest. Un article de la Banque mondiale souligne que la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, a enregistré des taux de croissance parmi les plus rapides et soutenus en Afrique subsaharienne ces dix dernières années.
3. « 90 % des Burkinabés qui soutiennent IB veulent s’installer en Côte d’Ivoire »
Le 19 octobre, un compte X critique envers le pouvoir du Burkina Faso a affirmé que « 90 % des Burkinabés soutenant Ibrahim Traoré sont des délinquants qui rêvent de déstabiliser la Côte d’Ivoire et s’y installer. » Ces affirmations manquent de toute base factuelle, et les recherches effectuées par BenbereVerif n’ont révélé aucun pourcentage crédible concernant le nombre de burkinabè soutiens du capitaine Traoré qui « rêvent » de s’installer en Côte d’Ivoire.
4. L’usage de termes dégradant
Certaines pages désignent les Ivoiriens par le terme « Woubi », un terme péjoratif désignant les homosexuels, et la Côte d’Ivoire par « Woubikistan ». Ce phénomène est notamment observé sur Mali Info Universel, une page Facebook ayant plus de 135 000 abonnés, qui insulte systématiquement la Côte d’Ivoire avec des termes dégradants. Cette animosité est exacerbée par une montée de l’homophobie dans le pays. Le 30 août, le ministère ivoirien de la Justice a dû publier un communiqué pour démentir les allégations selon lesquelles la loi ivoirienne protégerait les homosexuels. Malgré cela, des discours haineux continuent de circuler.
5. Mise en perspective : la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont-ils trahi l’Afrique ?
La Côte d’Ivoire et le Sénégal ont été critiqués pour leur abstention lors d’un vote du 17 octobre à l’ONU sur un projet de résolution contre le colonialisme proposé par la Russie. Certains internautes les accusent de trahison, les qualifiant d’« esclaves de salon ». Cependant, d’autres pays africains, tels que le Liberia et le Maroc, ont également choisi de s’abstenir, tandis que d’autres, comme le Bénin, le Botswana, le Tchad, le Cap-Vert, la Gambie, la Mauritanie, le Rwanda, le Soudan et le Soudan du Sud, ne se sont pas présentés pour voter, ce qui est aussi une forme d’abstention.
Même si ce texte a été adopté (99 voix pour, 1 contre, 61 abstentions), la raison pour laquelle nombreux pays y compris africains se sont abstenus est à trouver dans « le paradoxe colonial de la Russie ». Beaucoup de pays se méfient de la Russie de Vladimir Poutine, qui propose des textes contre la colonisation à l’ONU tout en menant une guerre considérée par certains comme « coloniale » en Ukraine.
Les messages de haine et la désinformation ciblant la Côte d’Ivoire émergent dans un contexte de tensions, notamment entre l’AES et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’incapacité de ces deux blocs à trouver des solutions aux nombreux points de désaccord entraîne des divisions parmi les citoyens de leurs pays membres.
Malgré les conflits politiques, il est essentiel que les citoyens des nations appartenant à ces deux blocs se rappellent l’importance du respect mutuel. Ils doivent, en effet, considérer qu’ils sont voisins et qu’ils sont condamnés à vivre ensemble.