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Vérifier, recouper, contextualiser : les leçons des journalistes africains face à l’IA
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Du 10 au 17 août 2025, à Accra, une centaine de journalistes venus de plus de vingt pays ont participé au congrès triennal de l’Union catholique africaine de la presse (UCAP). Au cœur des débats : l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur le journalisme. Entre enthousiasme mesuré, méfiance et appel à la formation, les professionnels du continent dessinent une approche pragmatique et exigeante face à cette révolution technologique.

L’IA s’invite progressivement dans les rédactions africaines. De plus en plus de journalistes l’utilisent, non comme un remplaçant, mais comme un assistant. Pourtant, sa fiabilité reste largement discutée.

Reine Azifan, journaliste au quotidien La Nation au Bénin, raconte son premier face-à-face avec ChatGPT en 2024. Curieuse, elle demande à l’outil de rédiger un article sur la santé mentale des enfants au Bénin. Le résultat est immédiat, bien rédigé, accompagné de titres suggérés et de chiffres apparemment précis. Mais un détail l’intrigue : l’IA cite une étude menée par un professeur de l’université d’Abomey-Calavi, qu’elle ne parvient ni à retrouver sur Google, ni sur le site de l’Institut national de la statistique, ni même dans les médias locaux.

Une technologie déjà incontournable

« Aucune trace de cette étude. Pas de publication, pas de communication officielle. Cela ne tient pas debout », explique-t-elle. L’article, finalement, n’a pas été publié. « C’était un exercice, mais une chose est claire : les productions de l’IA ne sont pas fiables à 100 %. Il faut toujours vérifier. »

Ce constat est partagé par de nombreux confrères présents au congrès de l’UCAP. L’IA peut produire du texte, mais elle invente parfois des sources. Et cette hallucination, dans un contexte où l’information est déjà fragile, devient un risque majeur.

Les journalistes interrogés n’entendent pas automatiser leur métier. Ils utilisent l’IA de manière ciblée, fonctionnelle, et toujours sous contrôle. George Sunguh, directeur de publication du magazine African Shipping Review à Mombasa au Kenya, l’utilise principalement pour la recherche documentaire. « Pour être honnête, je l’utilise pour la relecture. Cela m’aide aussi à obtenir des informations. Mais une fois que je les ai obtenues, j’essaie de puiser dans d’autres sources pour les combiner, ce qui me permet d’être hybride. Ainsi, je ne me base pas uniquement sur l’IA. J’intègre donc de nouvelles informations à celles que l’IA me fournit. »

Jean Martin Amekouvo, journaliste à l’Agence togolaise de presse, voit dans l’IA un allié pour la relecture. « Elle facilite énormément la correction des textes. Mais je ne l’applique pas à tous les articles. Et surtout, je ne l’utilise jamais pour couvrir un événement en direct. Là, c’est mon savoir-faire, mon expérience, mon intelligence qui comptent. »

Autre usage largement salué : la transcription. « C’est la tâche la plus pénible en presse écrite », reconnaît Amekouvo. Certains outils comme Gemini permettent de retranscrire rapidement un discours, à condition que la connexion soit bonne et que l’orateur parle clairement. Un gain de temps précieux, surtout sur le terrain. 

Alertes des professionnels

Malgré ses avantages, l’IA suscite des inquiétudes profondes. La première : elle pourrait rendre les journalistes paresseux. « Quand on commence à s’appuyer trop sur ces outils, on perd cette rigueur, cette énergie qui font la valeur du métier », met en garde Jean Martin Amekouvo. « On risque de se reposer sur la machine au lieu d’aller au fond des choses. »

Autre danger : l’effacement de l’auteur. « Le public apprécie les textes, mais il ignore souvent qu’ils ont été générés ou retravaillés par une machine. C’est un problème d’éthique et d’intégrité », ajoute-t-il.

George Sunguh souligne un risque de standardisation. « Si deux journalistes utilisent le même prompt, ils obtiennent des textes quasi identiques. Alors qu’en allant sur le terrain, en interviewant les gens, on obtient de la diversité, de l’originalité. L’IA, si on s’y fie trop, tue la créativité. »

Face à ces défis, les journalistes rejettent l’idée d’un remplacement par les machines. « Non, non, non. Rien ne remplacera jamais l’être humain », affirme George Sunguh. « L’IA est une création humaine. Elle élargit notre champ d’action, elle ne le supprime pas. »

Pour lui, l’histoire se répète. « Quand les ordinateurs ont remplacé les machines à écrire, on disait que les journalistes allaient disparaître. Ce n’était pas le cas. Aujourd’hui, l’IA nous pousse simplement à être plus innovants, plus créatifs, plus pertinents. »

Fabrice Yemadje, docteur en neurolinguistique et journaliste à Radio Immaculée Conception au Bénin, également présent au congrès, insiste sur les limites de l’IA dans les contextes africains. « Prenez les langues nationales, ou un autre sujet mal documenté. L’IA ne peut pas aller plus loin que ses données. Et souvent, ces données ne reflètent pas la réalité du terrain. »

Reine Azifan conclut avec force : « ChatGPT ne peut pas aller interviewer un député, un président ou un ministre. L’humain reste indispensable. Le journaliste sera toujours là. Mais l’IA aura désormais sa place à nos côtés — on ne peut plus l’ignorer. »

Se former pour ne pas subir

Devant l’irruption de ces technologies, la formation devient une urgence. « L’IA est l’évolution naturelle des nouvelles technologies. Il faut apprendre à les utiliser, sinon ce sont elles qui finiront par nous utiliser », prévient le Dr Alexis Dembélé, doyen du département de journalisme et communication à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest à Bamako, également présent à Accra.

Il insiste sur une utilisation « éclairée » : « L’IA permet de gagner du temps, d’optimiser des processus, mais elle ne dispense pas du travail de terrain ni de la vérification. » Fabrice Yemadje renchérit : « Si l’on dispose déjà d’une connaissance, même sommaire mais correcte, du domaine ou du sujet, l’IA peut réellement devenir un allié précieux. Mais si l’on n’a aucune maîtrise, ni même une compréhension minimale, et que l’on pense que l’IA fera tout le travail à notre place, c’est une illusion », ajoute-t-il.

Le message le plus répété à Accra est sans appel : l’IA ne dispense pas des fondamentaux du journalisme. « Si l’IA vous sort un article farfelu sur la production de tomates au Burkina Faso, appelez quelqu’un là-bas pour vérifier », insiste le Dr Alexis Dembélé. « Ce n’est pas parce que c’est écrit que c’est vrai. »

Stephen Boakye, journaliste ghanéen, rappelle qu’il faut comparer, croiser, recouper. « L’IA utilise des données, mais elles ne sont pas toujours vérifiées. Relisez, interrogez, consultez d’autres sources. » Jean Martin Amekouvo résume ainsi : « L’IA est un outil. Mais le journaliste, c’est celui qui décide, qui vérifie, qui assume. »

À l’issue de ce congrès, une conviction s’impose : l’IA est entrée dans le paysage médiatique africain. Elle n’est ni un monstre, ni une panacée. Elle est un outil puissant, mais fragile, exigeant une vigilance accrue, une formation rigoureuse et une éthique renouvelée.

Les journalistes d’Afrique ne rêvent pas d’automatisation. Ils veulent, au contraire, préserver ce que la machine ne peut pas faire : écouter, comprendre, interpréter, témoigner. Leur défi désormais ? Utiliser l’IA sans lui céder leur âme.

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