Pour le blogueur Elias Ahmed Zoubir, la transition offre l’occasion aux Maliens d’avoir une démocratie refondée, capable d’améliorer leurs conditions de vie et de sortir le Mali de l’état inquiétant dans lequel il se trouve.
Rappelons que l’esprit de la transition est celui du devoir, qui se matérialise dans le pouvoir. L’idéal, ou du moins le combat qui liait les acteurs dans leur opposition au régime déchu d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », est devenu un « contrat moral » entre les vivants divisés sur la victoire et les morts partis la conscience tranquille du devoir accompli. Qu’en est-il de la conscience de la transition ?
Le professeur Mamadou Lamine Traoré aura donc toujours raison : « La lutte unit, le pouvoir divise ». Mais il aurait pu ajouter que la dette morale demeure–la conscience de la lutte, celle de donner aux populations le bien-être qu’IBK n’a pas pu leur offrir. Le Mouvement du 5 juin–Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) a contracté une dette envers les Maliens et Maliennes, qui étaient pour ou contre la demande de démission d’« IBK » et de son régime, la promesse des lendemains meilleurs.
Ensuite, les militaires, après avoir « parachevé la lutte », d’après eux-mêmes, se sont, par la parole donnée, engagés à ne pas tomber dans l’ivresse du pouvoir mais à gouverner par la vertu et le patriotisme. La rencontre entre le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et Feu le président John Jerry Rawlings n’était-il pas un symbole en soi ? La « parole est l’homme », selon Amadou Hampâté Bâ et la politique en est sa traduction pratique.
« Un champ des possibles »
Trahir promesses et paroles s’est érigé en contre-valeur, qui n’irrite même plus celles et ceux à qui elles sont faites. Cette corruption morale de ceux qui occupent des responsabilités publiques a abouti à une défiance très grande vis-à-vis de la politique. Le fait n’est certes pas nouveau mais ne cesse de se renouveler, compromettant chaque opportunité d’espoir et de progrès pour notre société. Le contrat social est rompu par le mensonge et la corruption.
Le devoir de traduire le contrat moral (la quête du bien-être) en contrat social (la refondation pour une société juste) demeure. C’est cet esprit qui fait de la transition un champ des possibles et non une parenthèse à vite refermer. Les arguments se résumaient en un seul : refonder la gouvernance pour qu’elle ne soit plus le monopole d’une minorité.
Et pour y arriver, concrètement, le chemin est tout tracé par la feuille de route qui n’est que la somme des entreprises avortées dans le passé faute de volonté et de courage de les mener à bout. Les réformes prioritaires ont été identifiées et les recommandations font consensus dans leur ensemble.
« J’entends encore les mêmes cris »
On serait tenté de chanter le morceau Le cri du peuple du rappeur panafricain Didier Awadi. Pas d’école, pas de santé, pas de pain, pas de sécurité, pas de job. Et l’accès aux privilèges apparaît comme la seule motivation de ceux qui cherchent à gouverner. Il ne s’agit pas de mesurer le degré d’espoir placé dans la transition, mais les moyens que celle-ci refuse de se donner pour satisfaire les véritables demandes sociales. Dire qu’« on ne peut pas tout faire pendant une transition », c’est oublier que même toute cette vie ne suffirait pas pour tout faire. Pourtant, nous ne devons pas nous priver d’accomplir le maximum possible dans une totale incertitude. Le renoncement est différent du réalisme. Il ne sert à rien de dire que tout n’est pas possible, si la volonté est déjà de faire peu.
D’une part, il est dangereux de renfermer la transition dans le carcan sécuritaire. Ce n’est pas parce que les militaires sont au pouvoir qu’il faille reléguer au second plan la question centrale de la gouvernance. D’ailleurs, les Maliens et les Maliennes lient la sécurité à la gouvernance de manière générale. L’audit de la loi d’orientation et de programmation militaire, la remise en question du statut et du traitement des généraux de l’armée, le recrutement et les conditions de vie des soldats au front sont de plus en plus au centre du débat public. Et le CNSP est descendu dans l’arène politique pour réussir là où les acteurs politiques ont échoué.
D’autre part, créer un ministère dédié à la refondation et y renoncer serait un discrédit pour la transition tout en créant les conditions de son échec comme n’ont cessé de faire les acteurs politiques. Ce n’est pas qu’une question de temps mais de légitimité aussi.
« Démocratie refondée »
Les acteurs de la transition bénéficient d’un capital de confiance pour mener des réformes indispensables à l’organisation crédible de futures élections qui semblent devenir l’obsession du président Bah N’Daw. Or, il n’y aura d’élections ni crédibles ni moins chères sans réellement mettre en œuvre les réformes indispensables à la loi électorale et à la charte des partis politiques pour moraliser la vie politique. Et pour alimenter et entretenir ce capital confiance, le volontarisme et la transparence doivent guider la pratique de gouvernance des acteurs de la transition.
Et, pour mémoire, pendant des mois des citoyens ne sont pas sortis au péril de leur vie pour retourner à la démocratie électorale mais pour la démocratie refondée, seule capable d’améliorer leurs conditions de vie et de sortir le Mali de l’état inquiétant dans lequel il se trouve.
« Le cri du peuple » pourrait se résumer à ceci : « On ne veut pas de miracle, mais simplement des gestes forts, des actes forts qui parlent aux gens, des signes forts. »
Cet article est publié dans le cadre du partenariat avec Open Society Initiative for West Africa (OSIWA).