#MaTransition : « refondation au Mali », de quoi parle-t-on ?
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#MaTransition : « refondation au Mali », de quoi parle-t-on ?

Depuis la mise en place du gouvernement de transition, le 5 octobre 2020, nombreux sont les Maliens qui aspirent enfin à voir mis en train le processus de « refondation au Mali ». Ce concept apparait comme très peu saisissable.

Il semble que ce concept ait été prononcé pour la première fois par le Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), lors de sa toute première rencontre avec la délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), conduite par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, le 23 août 2020.

Le CNSP avait alors proposé une transition de trois ans, qui couvrirait le reste du mandat d’Ibrahim Boubacar Keita, dans le but d’avoir le temps de refonder l’État. Mais de quoi parle-t-on exactement quand on sait que la « refondation de l’État » est un concept fourre-tout ?

Concept fourre-tout

Tout d’abord, il nous paraît important de s’intéresser à l’idée que les Maliens se font de la notion d’État. Les propos de l’ex-président Amadou Toumani Touré – prononcés à l’occasion du Forum de Bamako sur l’État en février 2012 – pourraient idéalement nous aider à comprendre le rapport des Maliens à l’État : « Tout repose sur l’État. Si quelque chose ne fonctionne pas bien, on dit que c’est l’État. Si ça fonctionne bien, c’est l’État aussi. L’État devient, en quelque sorte, le noyau central dans la vie d’une nation et il doit nécessairement être capable d’assurer son bon fonctionnement ».

Aujourd’hui, les avis semblent effectivement converger sur le constat d’une profonde crise de l’État au Mali, caractérisée à la fois par un « manque d’État », mais davantage par un « refus d’État ». La crise sécuritaire, qui secoue le pays depuis 2012, a dévoilé les faiblesses de l’État. Principales raisons : le profond retard économique qu’accuse le pays ; les conditions de vie totalement inadéquates de certaines couches sociales ; et surtout l’absence de perspectives satisfaisantes. Des raisons, par ailleurs, en partie imputées à la « politique du ventre ».

« État patrimonialisé »

On peut donc dire que l’État malien a été patrimonialisé, devenant prédateur de la société tout en étant « prédaté » par une minorité d’élites. Les maigres ressources de l’État sont accaparés par la minorité dirigeante, laissant ainsi pour compte les secteurs vitaux de l’État : l’éducation, la santé, la sécurité, etc.

Les problématiques de mauvaise gouvernance ont eu des impacts indéniables globalement sur l’économie nationale, mais particulièrement sur les conditions de vie des populations. Il s’agit là du principal facteur à l’origine du « refus d’État » favorisant la perte de légitimité des acteurs étatiques au profit d’autres, notamment les religieux. On peut ainsi s’apercevoir que tout est priorité au Mali, et qu’aucun secteur n’est véritablement épargné d’une restructuration. Le concept de « refondation de l’État » apparait alors comme très peu saisissable.

Mais la publication de la feuille de route de la transition nous aide à mieux comprendre ce qui est concrètement placé au cœur du processus. Il est structuré autour de six principaux axes : (1) le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national ; (2) la promotion de la bonne gouvernance ; (3) la refonte du système éducatif ; (4) les réformes politiques et institutionnelles ; (5) l’adoption d’un pacte de stabilité sociale ; (6) et enfin l’organisation des élections générales.

Programme présidentiel

Le constat qui émerge d’emblée, à l’issu d’un aperçu détaillé de son contenu, est que nous avons l’impression d’avoir affaire à un programme présidentiel quinquennal : celui-ci étant hautement ambitieux pour être exécuté par un gouvernement transitoire dont la durée est fixée à 18 mois.

Le risque est que nous nous dirigeons, très probablement, vers une prolongation de la durée de la transition. Sans vouloir absolument tout régler, il serait déjà très salutaire que la période de transition permette au moins de jeter les bases d’une nouvelle organisation de l’État. Nous l’avions déjà dit, le gouvernement de transition, pour être efficace, devrait uniquement se focaliser sur quelques points précis au premier plan desquels la sécurité.

En tout état de cause, il y a des enseignements que nous pouvons, d’ores et déjà, tirer de la mise en place du gouvernement de transition. Nous avions pu remarquer que la dégradation sécuritaire sous l’ancien régime était en grande partie le fait « d’officiers supérieurs de bureaux » qui, en plus d’être coupés des réalités des théâtres d’opérations, sont également cités dans les détournements des primes et des fonds alloués à l’équipement des soldats. Il est, de ce fait, très encourageant de voir des militaires, très imprégnés de la condition de leurs collègues déployés sur le terrain, être désormais placés à la tête de l’armée. Si la volonté d’une rupture avec l’ancien régime est appliquée, nous ne devrions pas tarder à constater des avancées majeures sur le terrain sécuritaire.

« Nouveau Mali »

En outre, la composition du gouvernement de transition semble être la manifestation de la volonté de rompre avec l’ancienne classe politique, en l’occurrence celle qui émergea des troubles sociopolitiques de mars 1991, et qui est restée aux affaires jusqu’à la chute d’IBK. On se rappelle qu’une partie des Maliens tient ladite classe politique pour responsable de toutes les crises que traverse le pays. C’est d’ailleurs l’un des reproches très souvent adressé aux leaders du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui réclamaient le changement alors qu’ils avaient eux-mêmes toujours fait partie du système.

En l’état actuel de la situation, le chantier du « nouveau Mali » semble avoir démarré, et les actions qui seront posées par le gouvernement de transition nous diront s’il s’agit d’un simple slogan ou d’une dynamique réelle et observable. Pour l’heure, l’ensemble des Maliens, qu’ils soient pro-M5-RFP, déçus de la tournure de la situation, ou encore pro-CNSP restent dans l’expectative.


Boubacar Haidara est chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux / Chargé de cours, Université de Ségou (Mali), Université Bordeaux Montaigne. 

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