Le livre de Chéibane Coulibaly Crise politico-institutionnelle au Mali : essai de philosophie politique mandingue (L’Harmattan, 2016) est à lire si l’on veut déchiffrer la crise multidimensionnelle que traverse le Mali. L’auteur y fait le procès de la IIIème République dont certains appellent à tourner la page.
Dans ce livre, Chéibane Coulibaly commence par analyser les fondements de la « civilisation soudanaise » sur laquelle le Mali actuel est bâti. Cette civilisation serait née des grands empires précoloniaux, notamment les empires du Ghana, du Mali, du Songhoy, mais aussi celui de Samori ainsi que les royaumes Bamanan et celui d’El Hadj Omar. Cette civilisation serait caractérisée par « un curieux mélange de tolérance religieuse envers les autres peuples et de réelle solidarité basée sur la religion [islam] à l’intérieur du groupe ».
L’auteur fait une critique sans concession de la Troisième République et du « mouvement démocratique » issus des événements de mars 1991, qu’il accuse d’avoir négligé les questions de développement, d’avoir épousé des thèses mettant l’accent sur le développement industriel alors que la sécurité alimentaire n’était pas assurée. « Un peuple qui a faim pense difficilement à autre chose qu’à assouvir cette faim », écrit-il. « Le renforcement de la démocratie dans ce pays passe par la consolidation de la démocratie à la base, celle qui concerne des millions de ruraux dont l’urgence aujourd’hui est la lutte contre la faim et la malnutrition », ajoute-t-il.
La IIIème République en procès
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Chéibane Coulibaly sait de quoi il parle, en tant que docteur en socio-économie du développement et expert en développement rural. D’ailleurs, tout son livre peut être lu comme une défense des paysans contre l’arrogance et l’incompétence des élites.
L’autre péché des initiateurs de la IIIème République, selon toujours Chéibane Coulibaly, est qu’ils ont élaboré une Constitution qui donne tous les pouvoirs au président de la République. Ce dernier est chef de l’État, chef de la Magistrature suprême et a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. Cette concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme est contraire aux bonnes pratiques des sociétés mandingues, nous dit l’auteur. « Le partage des pouvoirs interdit le cumul des pouvoirs : sauf usurpation, le chef de village ne peut pas être en même temps chef des terres, chef des eaux, des forets, etc. »
Le Mali est-il prêt pour une IVème République ?
Chéibane Coulibaly estime que la IIIème République est terminée avec la fin du régime d’Amadou Toumani Touré en 2012 et que les politiciens doivent avoir le courage de le reconnaitre et d’entreprendre les réformes qui s’imposent pour la IVème République. Ces reformes nécessiteront des « hommes forts pour bâtir des institutions fortes ».
Pour mettre fin au conflit politico-sécuritaire qui handicape le Mali depuis 2012, Chéibane Coulibaly propose des discussions franches entre Maliens sur les causes profondes de ce conflit. « Les Maliens doivent cesser de répéter inlassablement que nous sommes tous les mêmes, que nous formons un seul peuple ; ils doivent avoir le courage d’examiner enfin leurs différences, ces différences au nom desquelles une minorité [touarègue] a pris les armes contre l’État et déjà à six reprises depuis l’indépendance du pays ».
Le livre de Chéibane Coulibaly pose les bases sur lesquelles une décentralisation devrait être opérée en respectant ou en restaurant les institutions, notamment les institutions paysannes, villageoises et traditionnelles. C’est un livre d’une grande qualité intellectuelle qui est basé sur plus d’une dizaine d’années de recherche. On le lit avec patience, comme on mange un éléphant : une brochette à la fois.
Même s’il ne propose pas de solutions miracles à tous les problèmes du Mali, il a le mérite d’attiser la curiosité intellectuelle du lecteur et d’amener le lecteur à réfléchir profondément aux problèmes politiques et sociaux.