Les stratégies de lutte contre le « terrorisme » sont des décisions politiques, qui ne doivent pas être réservées aux seuls militaires. C’est par les débats électoraux qu’on récoltera les meilleures idées pour lutter contre ce phénomène, soutient le blogueur Cheibane Dembélé.
Sur X, la célèbre activiste suisse Nathalie Yamb a proposé aux autorités maliennes de « réquisitionner sans tarder » et « envoyer au front » trois leaders la société civile malienne pour avoir demandé de fixer une date pour les élections. « Quand ils auront fini avec les terroristes, ils reviendront nous dire, et puis on va réfléchir à une date », ajoute-t-elle. « Il est temps que ces individus financés par les ennemis du Mali commencent à ressentir dans leur chair le prix de la déstabilisation du Mali à laquelle ils participent », conclut Nathalie Yamb, qui se définit sur sa page X comme « résolument engagée pour une Afrique affranchie des tutelles ».
Il y a plusieurs idées fausses dans cette déclaration de l’activiste suisse. La première, c’est que les élections sont un obstacle à la lutte contre le « terrorisme ». Ainsi, si on suit cette logique, cela veut dire que tant que le dernier « terroriste » ne sera pas vaincu, il n’y aura aucune élection dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Burkina, Niger), tous dirigés par des régimes politico-militaires. C’est d’ailleurs ce discours qu’on entend au Burkina Faso, où le pouvoir fait entendre qu’il faut attendre la fin de la lutte contre le « terrorisme » pour organiser les élections.
Je viens d’entendre un membre de la “société civile malienne” dénommé Ibrahima Sangho réclamer qu’une nouvelle date soit fixée pour que les élections se tiennent rapidement.
Je suggère fortement aux colonels Assimi Goïta et Sadio Camara de le réquisitionner sans tarder, ainsi… pic.twitter.com/lIjMuqLH5r
— Nathalie Yamb (@Nath_Yamb) December 6, 2023
Un combat de longue haleine
Le problème est que personne ne sait quand la « guerre contre le terrorisme » sera gagnée. Les Américains ont mené cette guerre contre les Talibans en Afghanistan pendant vingt ans, mais ces derniers ont fini par prendre le pouvoir. D’ailleurs, dans son livre au titre évocateur Mali-Sahel, Notre Afghanistan à nous ? (Impact Éditions, 2022), le journaliste et universitaire nigérien Seidik Abba compare l’échec de la lutte en Afghanistan et au Mali. D’après lui, l’une des erreurs qui font qu’elle a échoué pendant ces dix dernières années au Mal et au Sahel est le « tout-militaire » : le fait de penser que la solution armée suffit pour vaincre le « terrorisme ». Il propose plutôt de combiner cette lutte armée avec des stratégies plus politiques, y compris la négociation.
Ceux qui proposent de terminer la lutte contre le « terrorisme » avant d’organiser les élections font aussi cette erreur de penser qu’elle se fait seulement par les armes et que les acteurs politiques ne sont que des obstacles à cette noble mission. Or, les stratégies de lutte sont des choix politiques parmi d’autres, et les élections sont le meilleur moyen de montrer qui, parmi les hommes politiques, proposent des solutions convaincantes à cette épineuse question.
Il ne fait aucun doute que la question de la lutte contre le « terrorisme » occupera une place importante dans les futures élections au Mali, et que le vainqueur va être celui qui, aux yeux de l’opinion, sera le mieux placé pour ramener la paix sur tout le territoire malien. La solution n’est donc pas de faire un moratoire sur les élections, mais justement de se servir des débats qui émergeront pendant la campagne électorale afin de récolter les meilleures idées qui serviront au vainqueur dans ses stratégies de lutte contre le « terrorisme ». Cette lutte ne se gagnera pas au Mali en excluant les acteurs politiques du jeu politique, mais en associant tous ceux qui ont des solutions à proposer, et les élections sont la meilleure plateforme pour cela.
Un faux débat
La deuxième idée fausse dans la publication de Nathalie Yamb est qu’il y a au Mali deux camps qui doivent se combattre : d’un côté, les militaires patriotes, et de l’autre côté les organisations de la société civile « financé[e]s par les ennemis du Mali ». Un tel discours ne vise qu’à « terroriser » tous ceux qui n’adhèrent pas au discours officiel. Si ce sont les pays occidentaux qu’on considère comme les ennemis du Mali, ils ne financent pas seulement les organisations de la société civile, mais aussi le gouvernement malien lui-même.
En septembre 2022, le gouvernement malien a signé avec les Etats-Unis un accord sur un nouveau financement de 148,5 millions de dollars. Faire croire que la société civile est la seule à bénéficier des financements étrangers est donc un faux débat, qui ne vise qu’à manipuler l’opinion. La société civile, les acteurs politiques et les militaires cherchent tous l’intérêt du Mali. Chacun doit jouer son rôle.
En ce qui concerne la réquisition des civils pour lutter contre le « terrorisme », rien ne montre que c’est la bonne stratégie. Et même si le Mali choisissait d’adopter cette voie, il ne faudrait pas utiliser une telle décision pour faire taire ceux qui plaident pour le retour à l’ordre constitutionnel normal. On envoie les gens se battre, non pas pour les punir, mais parce qu’ils sont les plus qualifiés pour faire la guerre.