Dans son nouvel essai « La fin de la IIIe République au Mali. Histoire constitutionnelle 18 août 2020 – 28 mai 2021 », le juriste constitutionnaliste Balla Cissé tourne la page de la Troisième République au Mali et propose d’aller vers le parlementarisme.
En 1991, le politiste malien Cheick Oumar Diarrah consacra un essai édifiant à la Troisième République naissante. L’ouvrage, intitulé Vers la IIIe République du Mali, est publié pendant la transition démocratique de la même année. Pendant que les débats étaient encore vifs sur l’avènement du Mali nouveau – il en était déjà question ! –, l’auteur se proposait de démêler les contradictions de l’heure à travers un regard contextualisé sur l’histoire politique et constitutionnelle des deux républiques (1960-1968 et 1974-1991).
Plus de trente ans après, le juriste Balla Cissé constate, dans un essai incisif, le décès de ladite République. La fin de la IIIe République au Mali. Histoire constitutionnelle 18 août 2020 – 28 mai 2021, comme un bégaiement de l’histoire, sort dans une énième période de transition. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ce constat de Balla Cissé ? La République meurt-elle par décret ? Car, pour l’auteur, le « comment » est aussi important que le « pourquoi ».
République nouvelle pour un nouveau départ
Cheick Oumar Diarrah est un professeur qui, de 1986 à 1996 et à travers une série de quatre ouvrages, a analysé l’évolution politique du Mali : de la République socialiste du président Modibo Keïta aux premiers pas de la Troisième République. Le constitutionnaliste Balla Cissé fait une entrée fracassante avec son deuxième ouvrage après Le juge, la doctrine et le contrôle des lois de révision de la Constitution (2019), en plaidant pour une Quatrième République.
En trois décennies, le Mali a connu trois ruptures anticonstitutionnelles (2012, 2020, 2021). Pourtant, la demande du Mali Kura (« Mali nouveau ») reste une constante. Dans Vers la IIIe République du Mali, Diarrah, professeur de sciences politiques et membre actif de la commission constitutionnelle à la Conférence nationale de 1991, soulignait deux conditions indispensables à la « naissance d’une République nouvelle ». D’une part, il préconisait « la destruction totale et systématique de toutes les structures et ramifications de l’ancien régime [1968-1991] qui a mené le Mali au chaos actuel. Sans une politique globale d’assainissement en profondeur, la politique du Mali nouveau risque d’être pervertie par ceux-là mêmes qui ont été désarçonnés en mars 1991 ». D’autre part, « il faut des hommes nouveaux pour une situation nouvelle afin que naissent des comportements adaptés aux exigences de cette fin de siècle et de celui à venir dont la préparation commence dès maintenant. »
L’enseignant-chercheur Balla Cissé n’en pense pas moins : « Instaurée en 1992, la IIIe République n’a pas pu contraindre les dirigeants successifs à gouverner correctement. Les hommes sont les premiers responsables de cet échec, mais le texte sur lequel elle s’appuie a aussi prouvé son insuffisance, c’est pourquoi nous pensons qu’un nouveau texte fondamental devrait écarter notamment les dispositions traitant du pouvoir exécutif et adopter un régime parlementaire original, prévu dans une IVe République… »
Détrompez-vous ! Il ne s’agit pas d’opposer politiste et juriste tant les frontières sont fragiles entre le droit constitutionnel et les sciences politiques, que les deux universitaires refusent de s’inscrire dans une approche dogmatique. Le lecteur est saisi par la finesse intellectuelle de ces auteurs offrant, d’une part une analyse rigoureuse des textes juridiques et arrêts de la Cour constitutionnelle et, d’autre part, narrant des intrigues de coopération et d’opposition entre les mouvements contestataires de l’ordre politico-juridique.
Si Diarrah célébrait raisonnablement l’avènement de la Troisième République et, à juste titre, après 23 ans de dictature militaire du général Moussa Traoré, Cissé l’enterre juridiquement non sans brandir, en grossissant le trait, le spectre d’une dictature en gestation.
L’acte de décès de la Troisième République
La Troisième République a trente-et-un ans. Décriée, elle résiste malgré tout au rejet dont elle fait l’objet. Sa mise en cause a toujours existé et alimenté le débat public et constitutionnel. Pourtant, la Constitution du 25 février 1992 reste comme une forteresse imprenable : quatre tentatives de révision constitutionnelle inabouties (2001, 2011, 2017, 2019).
Balla Cissé « n’a pas choisi la facilité », comme l’annonce dès la préface le Professeur de droit Jean du Bois de Gaudusson en déclarant l’assaut à cette forteresse. Le livre intervient dans une actualité politique marquée par le débat sur l’avant-projet de la nouvelle Constitution. Et Cissé a pris position : « Il faut rechercher la stabilité et sortir de la crise en adoptant une nouvelle Constitution, non une énième révision constitutionnelle, parce qu’il est illusoire d’espérer que le texte de 1992 soit ressuscité, et parce que la Constitution de la IIIe République est partiellement inadaptée aux réalités maliennes. » Telle semble aussi être la démarche des autorités nationales dans la mise en œuvre des recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR), tenues en 2021. Cependant, les pratiques des autorités nationales, minutieusement décortiquées, en particulier leur rapport au droit constitutionnel, ne trouvent aucune grâce aux yeux de l’auteur.
« Le spectateur engagé »
Le professeur Jean Du Bois de Gaudusson annonce la couleur : « […] en juriste averti, il instruit le lecteur en ne souhaitant pas rester spectateur, il a pour objet de préparer l’avenir ». Et Cissé lui-même parle de son travail comme celui d’un « citoyen engagé, soucieux de voir son pays prospéré ». Le ton est vif et assumé. Polémiste, le chroniqueur de RP Médias, le « Maître bisous-bisous », tel dans un polar, livre « son indignation sous la forme d’expressions ironiques, de tournures satiriques : choix légitime à condition que l’émotion reste au service de l’analyse. »
Avocat inscrit au barreau de Paris, Cissé fait un véritable plaidoyer pour l’avènement de la Quatrième République. En cela, l’on retrouve le citoyen engagé dont les réflexions sur la fin de la Troisième République ne datent pas de 2020, mais bien avant, comme se doit de l’attester l’auteur de ces lignes. Certes, les arrêts du 18 décembre 2020 et du 28 mai 2021 de la Cour constitutionnelle semblent achever la Troisième République. Cependant, comme le souligne l’Agrégé de droit public Éric M. Ngango Youmbi, « Il n’est pas question d’un récit des événements passés ayant des implications constitutionnelles, mais d’une histoire qui se déroule dans le présent, exposant les événements politiques actuels et les processus politico-constitutionnels à l’œuvre. »
Et l’avenir, pour Balla Cissé, est dans le parlementarisme. Des traits de cette république parlementaire sont dessinés dans la dernière partie de l’ouvrage après celles consacrées aux ruptures anticonstitutionnelles et aux rapports déséquilibrés entre les autorités de la transition et la Cour constitutionnelle. Toutefois, au-delà des règles constitutionnelles, qu’en est-il des comportements des acteurs de la démocratie ? Justement, en attendant une suite, l’ouvrage fait économie d’une analyse sur les fondements sociologiques et politiques indispensables à une république parlementaire. Cette Quatrième République, dans ce contexte d’extrême faiblesse des partis politiques, de défiance des citoyens vis-à-vis des acteurs politiques, ne risque-t-elle pas de fonctionner comme la Quatrième République française et de connaitre le même sort ? Après tout, la réflexion menée par Balla Cissé est « remarquable et salutaire ». Car, elle s’étend au-delà du seul cas malien pour interroger le constitutionnalisme africain à travers, entre autres, les réformes constitutionnelles au Sénégal (2019), en Côte d’Ivoire (2020) en attirant l’attention sur les « effets politiques dangereux » de ces révisions constitutionnelles voulues par les chefs d’État, qui fragilisent la démocratie et l’état de droit en Afrique de l’Ouest francophone.
Balla Cissé, La fin de la IIIe République au Mali. Histoire constitutionnelle 18 août 2020 – 28 mai 2021, L’Harmattan, 2019.
Mahamadou Cissé est politiste.