Le débat sur la légalisation des avantages et indemnités des membres du CNT, amplifié à juste titre par le contexte, doit impérativement aller au-delà de la conjoncture actuelle, pour poser les bases de la moralisation de la vie politique afin de restaurer la confiance que les citoyens délèguent à leurs représentants nommés ou élus.
Le Conseil national de transition (CNT) veut inscrire dans la loi les avantages et indemnités que ses membres perçoivent dans le cadre de leur fonction parlementaire. Cette décision a tout de même suscité un tollé dans l’opinion, qui en a pris connaissance à travers l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle. Dans son travail de contrôle de conformité, la Cour constitutionnelle, sans rejeter la proposition de loi, invite le CNT à revoir, reformuler et à repréciser certaines dispositions.
Contrairement aux différentes législatures de la IIIème République, le CNT fait pourtant un effort de transparence mais fortement critiqué dans sa finalité par une partie de l’opinion. Toutefois, les arguments juridiques mobilisés ici et là, les prises de positions partisanes ne permettent pas de saisir deux demandes fondamentales longtemps exprimées par les citoyens. Il s’agit de l’exigence de transparence et l’éthique de responsabilité dans la gestion des affaires publiques.
Au-delà du CNT, comment mieux représenter les intérêts des citoyens ?
Il est aisé de lire, dans les différentes enquêtes de perception Mali-Mètre de la Fondation Friedrich-Ebert, une défiance des Maliens vis-à-vis du pouvoir législatif. L’Assemblée nationale – le CNT pendant la transition – est considérée comme une chambre d’enregistrement avec des députés soumis à la volonté du seul président de la République. D’où le déséquilibre dans la séparation des pouvoirs. Résultat : le pouvoir n’arrête pas forcément le pouvoir, au contraire les pouvoirs législatifs et judicaires se soumettent au pouvoir exécutif. Certes, il est arrivé des moments où le pouvoir législatif s’est véritablement affirmé devant le pouvoir exécutif mais ils restent des exceptions dans notre pratique démocratique.
Le Mali vit un moment historique et critique pendant cette transition politico-militaire, qui s’est donné également comme agenda politique la refondation de l’État. Cela se traduit non pas seulement par un changement des visages des gouvernants, mais surtout par un renouveau des codes et pratiques de la gouvernance. C’est ce que des citoyens dénoncent dans la démarche du CNT, car cette proposition de loi devait intervenir dès la mise en place de l’organe. Là où les citoyens attendaient du renoncement ou du moins des sacrifices, les membres du CNT se sont plutôt permis de légaliser et sauvegarder leurs avantages et indemnités, donc leurs intérêts.
Dans L’État au régime, l’homme politique et universitaire français René Dosière rappelle que « Si le principe d’une rémunération des parlementaires n’est plus remis en cause, le montant de l’indemnité fera, lui, régulièrement l’objet de critiques plus ou moins violentes, selon la dureté des temps. » En effet, les temps sont durs au Mali, l’économie tourne au ralenti, les solutions à court terme tardent à alléger les souffrances des populations qui vivent entre rareté de l’emploi, paupérisation des jeunes et des femmes, coupures d’électricité et accès restreint aux services publics. Pour paraphraser René Dosière, dans ce contexte, lutter contre les abus et les dérives des responsables politiques prend tout son sens. Comment réclamer des efforts aux [Maliens] si, ceux qui dirigent le pays non seulement n’en font aucun, mais affichent leur prospérité ?
Le CNT s’engage-t-il dans la moralisation de la vie politique ?
Il est pourtant utile de rappeler qu’à travers cette proposition de loi, le CNT fait mieux que les législatures de la IIIème République dont les députés pouvaient se servir sans se soucier d’aucune forme de légalité. Cependant, au regard des exigences et des réalités de l’heure, l’organe législatif de la transition déçoit par sa démarche perçue comme une sauvegarde des privilèges hérités du passé que des citoyens appellent à abolir. Toutefois, si la loi ne dispose que pour l’avenir, pourquoi ne pas faire la part des choses entre l’encadrement juridique nécessaire de l’argent des députés et l’acte politique de renoncement à certains privilèges demandé aux membres du CNT ?
Il est heureux de constater que les Maliens se préoccupent de la gestion de l’argent public. Ce n’est pas nouveau. A la Conférence nationale de 1991, les participants ont rejeté le financement public des partis politiques. S’ils continuent à s’y opposer, c’est parce qu’ils n’ont été ni consultés ni associés à l’introduction du financement public en 2005. Et qu’ils ne voient pas trop l’intérêt de donner de l’argent à des partis politiques qui ne défendent pas leurs intérêts.
Dans L’étude nationale sur le coût financier des campagnes électorales et des mandats électifs au Mali de l’Institut néerlandais pour la démocratie multipartite (NIMD), il ressort entre autres un flou sur la rémunération précise des députés, et le rôle déterminant de l’argent dans le projet politique dans l’accès aux postes électifs.
Le CNT a une opportunité politique pour approfondir la réflexion sur la moralisation de la vie politique, qui reste une préoccupation majeure des Maliens. En légiférant sur la question, l’institution gagnera en légitimité et changera cette perception négative auprès des citoyens. Il y a désormais une exigence de transparence et une éthique de responsabilité que les citoyens attendent des gouvernants qui ne peuvent plus s’y soustraire.