Dans cette tribune, Cherif Ag Mohamed Ibrahim, diplômé en résolution des conflits et sécurité humaine de l’université du Massachussetts à Boston (UMASS), estime que dans la situation actuelle de polarisation politique, les acteurs doivent s’engager dans une négociation raisonnée.
Le refus de reconnaitre la pertinence des revendications, la légitimité des frustrations exprimées par les gens qui marchent Place de l’indépendance à l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et de travailler avec ledit mouvement à la recherche de solutions ne fera qu’aggraver la polarisation politique dans le pays. Toute tentative de contre-mobilisation ne servirait qu’à reléguer la recherche de solutions au second plan et prioriser la sécurisation ou la conquête du pouvoir par la suppression des libertés démocratiques et la légitimation de la violence.
Nous savons que la lutte pour la préservation du pouvoir est tellement absorbante qu’une fois engagée, aucune action gouvernementale autre ne sera possible. Les parties doivent plutôt s’engager dans une négociation raisonnée, ou ce que Lawrence Susskind et Patrick Field appellent, dans Dealing with an angry public, « l’approche basée sur les gains mutuels dans la résolution des disputes ».
« Gains mutuels »
L’approche basée sur les gains mutuels pour la résolution des disputes, selon Lawrence Susskind et Patrick Field, repose sur six piliers qui offrent un cadre de gestion efficace d’un public révolté. Il consiste à : « reconnaitre les inquiétudes du côté adverse » ; « encourager la recherche conjointe des faits » ; « offrir l’assurance d’un engagement éventuel pour minimiser les impacts au cas où ils surviendraient » ; « accepter la responsabilité, admettre les erreurs et partager le pouvoir » ; « agir d’une manière qui force la confiance à tout moment » ; « se concentrer sur l’établissement des bonnes relations sur le long terme ».
Cette approche est d’autant importante qu’elle permet de bien saisir le problème et de le poser dans un cadre juste. Dans Negotiating The Impossible, Deepak Malhotra, Professeur à la Harvard Business School et Harvard Law School, membre du programme interuniversitaire de négociation, indique « que le cadre qui sera maintenu déterminera les décisions que les parties prendront et comment elles vont évaluer les options et décider de ce qui est acceptable ».
« Réalisme naïf »
Les soutiens du régime, qui se mettent dans une posture de contre-attaque ou qui brandissent les lois comme preuve de force, ne savent sûrement pas que dans une société démocratique et plurielle, la force n’est pas plus une question de ressources que de perception. On peut penser qu’ils agissent par le paradigme du « réalisme naïf ». Cette perspective fait que l’on pense être capable d’interpréter objectivement et que nos attitudes sociales, croyances, préférences et priorités sont rationnelles, non émotionnelles et exemptes de tout préjugé.
En conséquence, pour maintenir cette croyance quand les autres nous contredisent, nous assumons trois choses. Premièrement, nous assumons que nos adversaires disposent de moins d’informations que nous, et donc nous savons des choses qu’ils ignorent. Deuxièmement, nous pensons que nos adversaires sont tout simplement biaisés du fait des croyances, idéologies mal apprises ou par intérêt personnel. Par exemple, qu’ils ne comprennent pas parce que ce sont des religieux ou ils agissent de la sorte parce qu’ils veulent leur « part du gâteau ». Si toutes ces supputations ne fonctionnent pas, on suppose alors qu’ils sont trop irrationnels pour arriver à des conclusions justes malgré toute l’évidence. Ils seraient non seulement biaisés mais aussi instables et coupés de la réalité.
La réalité est que lorsqu’un groupe est en colère, il ne sert à rien de définir sa révolte comme rationnelle ou irrationnelle, juste ou non juste. Qu’une colère soit irrationnelle n’en fait pas moins destructrice. La colère peut être perçue ou réelle. La réaction appropriée e celui ou celle qu’elle vise, notamment lorsqu’il s’agit des pouvoirs publics, est de la gérer de sorte qu’elle n’atteigne pas sa forme brutale.