[Reportage] À Bamako, la grogne anti-IBK se poursuit
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[Reportage] À Bamako, la grogne anti-IBK se poursuit

Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté ce vendredi 19 juin, Place de l’indépendance, en plein cœur de Bamako. Une nouvelle fois, les manifestants ont appelé le Président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) à la démission. Reportage.

Aux sons des vuvuzelas et des cris hostiles,  des milliers de personnes ont manifesté pacifiquement à Bamako ce vendredi 19 juin sur la Place de l’indépendance, devenue l’épicentre de la contestation politique et sociale au Mali. La manifestation est l’initiative d’un regroupement de partis politiques, d’associations de la société civile et d’acteurs religieux. Il est chapeauté par l’imam Mahmoud Dicko, une figure respectée qui organise désormais l’opposition au pouvoir du Président Kéïta, élu en 2013 puis réélu en 2018, mais dont la gestion suscite une levée de boucliers depuis plusieurs mois.

Le soleil était clément ce vendredi 19 juin dans la « ville des trois caïmans ». Après la prière du vendredi, une foule compacte s’est ruée vers la Place de l’Indépendance, en passe de devenir la « Place Tahrir » du Mali. Tous ont laissé leurs occupations pour honorer l’appel de l’imam Mahmoud Dicko. Le religieux de 66 ans est considéré comme le phare du mouvement de contestation démarré le 5 juin 2020. À 14h déjà, les principales artères donnant accès au site sont envahies de manifestants. Certains étaient habillés de tee-shirts à l’effigie de l’imam de Badalabougou. D’autres avaient des casquettes vissées sur la tête et sur lesquelles est estampillé le principal slogan des contestataires du régime en place : « IBK dégage ».

« Soumaila Cissé, un prisonnier politique »

« Nous ne voulons pas d’un souverain despote », « Non aux députés imposés », « Soumaila Cissé, un prisonnier politique », « Ce régime est un coronavirus pour le Mali » ou encore « IBK, incapable démissionne ». Parmi les pancartes et banderoles brandies par les manifestants, certaines font explicitement référence à des revendications syndicales comme le collectif des partants volontaires à la retraite qui qui réclament des « droits » depuis 30 ans.

Dans cette cohue, on dénombre également des sympathisants de la première heure du Président Kéïta, passés dans l’autre camp : celui de la contestation. Parmi ces soutiens désenchantés, ce cinquantenaire : « Je me sens aujourd’hui dans l’obligation de demander au Président de rendre le tablier ». Un autre abonde : « Le Président doit entendre la voix de son peuple dans la dignité. Avant qu’il ne soit trop tard. » 

Plusieurs personnalités politiques et de la société civile étaient visibles sur le podium : l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, Mme Sy Kadiatou Sow, Clément Dembélé (le militant anti-corruption), Me Mountaga Tall, Choguel K. Maïga ou encore Hamadoun Amion Guindo, le secrétaire général de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM).

« La désobéissance civile » 

À 15h 20, l’imam Mahmoud Dicko, à bord d’un Range Rover gris à l’immatriculation de la Côte d’Ivoire, fait son apparition sous des acclamations nourries. Drapé dans son traditionnel boubou blanc, arborant un masque gris aux élastiques noirs, l’influent leader religieux rejoint les officiels sur le podium au rythme des manifestants scandant à tout rompre : « Dicko ! Dicko ! Dicko ! »

Ensuite, débute la cérémonie avec la présentation des membres du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques(M5-RFP). L’ancien ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, dans un moment solennel et avec une tonalité grave livre la déclaration finale du mouvement : « Considérant le refus de M. Ibrahim Boubacar Keïta d’écouter la voix de son peuple… », « Considérant l’échec de toutes les initiatives de dialogue… » Le mouvement décide de « maintenir la mobilisation » jusqu’à la démission du Président. Les organisateurs demandent à la foule de marcher sur le palais présidentiel, « à défaut d’une réponse dans le délai d’une heure ». Et exercer « son droit constitutionnel de la désobéissance civile ». À ce moment précis de son allocution, l’atmosphère devient lourde sur la Place de l’indépendance. Tous les regards se tournent vers le palais de Koulouba.

« IBK finira par jeter l’éponge »

Finalement, Mahmoud Dicko intervient en facilitateur, une délégation est désignée pour partir recueillir la démission du Président. Mais elle n’aura pas accès au palais. « Ils nous ont gazé », a déclaré Issa Kaou Ndjim, un membre de la délégation.

Mahmoud Dicko reprend la parole et tente de calmer les ardeurs des manifestants. « Nous allons rentrer paisiblement et organiser une autre mobilisation. Mettons haut la barre de la raison et de la sagesse », a conseillé l’imam. Avant d’inviter les contestataires à privilégier la raison au lieu du chaos : « Ne faisons pas comme eux. Non, nous n’allons pas détruire notre pays. »

La mobilisation s’est soldée sans incidents. Toutefois, beaucoup de manifestants sont rentrés déçus. Ils voulaient vaille que vaille obtenir la démission du Président lors de la grande mobilisation. D’autres sont plus lucides : « C’est une nouvelle bataille gagnée. IBK finira par jeter l’éponge. Restons mobilisés derrière les mots d’ordre du très sage Mahmoud Dicko. » Jamais le leader religieux n’avait autant mérité ce superlatif que ce vendredi 19 juin  où il a évité un « chaos » dans toute l’acception du terme.

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