Tribune. « La Cedeao doit s’imposer dans la défense des principes démocratiques »
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Tribune. « La Cedeao doit s’imposer dans la défense des principes démocratiques »

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), comme toutes les institutions internationales, est l’instrument des volontés politiques des États. Ses échecs, souligne le chercheur Bah Traoré, sont aussi à mettre sur le compte des États membres.

Bien que les critiques à l’encontre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) soient légitimes, elles doivent être nuancées. Certes, l’organisation présente des faiblesses, mais elle n’est rien sans ses États membres. Son efficacité dépend en grande partie de la volonté politique des dirigeants des États qui la composent.

Il est souvent reproché à l’organisation régionale son manque d’autorité face aux crises politiques, notamment en matière de prévention de coups d’état et de manipulations constitutionnelles. Au-delà des critiques, il y a des discours simplistes de la part des certains dirigeants politiques qui, par ignorance ou mauvaise foi, tentent de diaboliser l’organisation. Pourtant, ses textes sont clairs : le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance interdit tout changement anticonstitutionnel ainsi que « tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». Ce qui est différent du cas des troisièmes mandats. En matière électorale, aucune réforme substantielle des lois ne doit intervenir dans les six mois précédant une élection, sans un large consensus politique. Cependant, cette disposition ne s’applique pas directement aux révisions constitutionnelles menant à des troisièmes mandats, car celles-ci interviennent généralement bien avant les six mois réglementaires et sont parfois soumises à référendum national.

Un compromis sur la souveraineté

Aucun texte n’interdit à un État de changer de constitution ou de mener des réformes constitutionnelles. Dans ce cadre, la Cedeao ne peut aller au-delà des textes en vigueur. Depuis plusieurs années, la Commission tente d’imposer une limitation à deux mandats présidentiels, mais cette réforme est systématiquement bloquée par certains États. Le Togo est le seul pays qui reste constant dans le refus de limiter les mandats à deux. Il y a eu la Gambie sous Yahya Jammeh, la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, le Sénégal sous Macky Sall.

Entre 2014 et 2024, l’Afrique de l’Ouest a connu 11 alternances politiques, 7 coups d’état réussis et 2 cas de troisième mandat controversé (Côte d’Ivoire et Guinée en 2020). Plusieurs pays ont connu des alternances démocratiques, parmi lesquels la Gambie, le Sénégal et le Bénin, le Libéria, le Ghana, le Nigeria, le Cap-Vert, la Sierra Léone et la Guinée Bissau et même le Niger avant le coup d’état de juillet 2023. Tandis qu’un pays comme le Togo reste sous le contrôle de la dynastie Eyadema depuis des décennies. Cette réalité pose la question de la capacité de la Cedeao à agir face aux dérives autoritaires.

On exige de la Cedeao qu’elle réagisse face aux crises, mais certains brandissent la souveraineté dès qu’elle prend des sanctions. Pourtant, l’intégration régionale implique un compromis sur cette souveraineté – un compromis que les dirigeants n’ont pas toujours été prêts à accepter pleinement. Malgré l’exécutabilité des décisions régionales, certains États, comme le Sénégal dans l’affaire Khalifa Sall et la Côte d’Ivoire dans l’affaire Guillaume Soro, ont refusé de les respecter, invoquant la souveraineté nationale et l’indépendance de leur justice.

Impossible intégration économique dans l’instabilité politique

Certains estiment que la Cedeao devrait se concentrer uniquement sur l’économie et se tenir à l’écart des questions politiques. Pourtant, une intégration économique forte est impossible dans un climat d’instabilité politique. L’expérience a montré qu’ignorer les crises institutionnelles fragilise aussi les ambitions économiques de la région.

Par ailleurs, la Cedeao ne se résume pas à la seule Conférence des chefs d’État. Elle dispose de plusieurs agences spécialisées, telles que la Cour de justice (où tout citoyen peut déposer un recours), l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), l’Agence régionale pour l’agriculture et l’alimentation (ARAA), pour ne citer que celles-ci. Ces structures jouent un rôle crucial, mais leur travail est souvent éclipsé par les controverses politiques.

Une autre critique formulée contre l’organisation : l’application inégale de la libre circulation des personnes et des biens. Si des taxes illégales sont encore exigées aux postes frontières, cela relève de la responsabilité des États et de leurs agents, non de la Cedeao elle-même. D’ailleurs, même à l’intérieur des pays, les populations sont confrontées au racket de la part des forces de l’ordre. Malgré ces défis, la Cedeao a réussi à instaurer un passeport unique et une carte d’identité régionale, une avancée significative par rapport à d’autres zones d’intégration en Afrique, comme l’Afrique centrale, où des visas sont encore requis entre plusieurs États.

La Cedeao est imparfaite, mais elle ne peut être plus forte que les États qui la composent. Ses décisions sont rarement appliquées, et ses efforts pour renforcer la gouvernance démocratique sont souvent entravés par les mêmes dirigeants qui la critiquent lorsqu’elle intervient. Si l’organisation veut gagner en légitimité, elle devra s’imposer comme un acteur clé non seulement sur le plan économique, mais aussi dans la défense des principes démocratiques, avec des mécanismes de sanctions plus efficaces et une implication accrue des citoyens.

Bah Traoré Legrand est chargé de recherche au Think tank WATHI. 

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