Tribune : l’ultimatum de la CEDEAO en déphasage avec les inquiétudes maliennes
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Tribune : l’ultimatum de la CEDEAO en déphasage avec les inquiétudes maliennes

Le Mali est sous la pression de la Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) depuis le coup du 18 Août dernier. Hier, lundi 7 septembre, s’est tenu à Niamey le sommet attendu au Mali des chefs d’État de la CEDEAO. L’ultimatum donné par l’organisation semble en déphasage avec les inquiétudes des Maliens.

Avec l’organisation des concertations nationales sur la transition, la libération de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita et la rédaction en cours d’une charte de la transition, les Maliens espéraient moins de pression internationale et une levée des sanctions. À Niamey, au contraire, les chefs d’État ont décidé d’accentuer la pression en donnant huit jours à la junte au pouvoir au Mali pour nommer un président et un premier ministre civils pour diriger la transition. 

L’un des risques directes du maintien des sanctions est la « radicalisation » encore plus affirmée de la position d’une grande partie des populations maliennes contre la CEDEAO. Ce qui pourrait aussi faire changer de posture la junte au pouvoir dans ses échanges avec l’organisation. Aussi, se posent plusieurs questions. La première est celle de la légitimité d’un ultimatum. Largement populaire, l’intervention des Forces armées maliennes (FAMa) vise d’abord à garantir la sécurité d’un territoire et de ses habitants. 

En la matière, les Maliens accordent plus de crédit à une de leurs institutions qu’à une union régionale à vocation économique. La seconde concerne la faisabilité et le bien-fondé de recommandations ignorant les spécificités d’un pays et de sa société. Ni la précipitation, ni la lecture obtuse de principes ne seront de nature à rasséréner les esprits d’une opinion publique médusée – au Mali comme dans d’autres pays de la CEDEAO.

Incompréhension et tensions

Le Mali a-t-il la volonté de répondre aux exigences exprimées hier par la CEDEAO ? Les consultations du week-end dernier ont montré, en partie, que beaucoup de Maliens tiennent à ce que la présidence de la transition soit dirigée par un militaire actif ou à la retraite. La volonté d’avoir un président de transition militaire a été réaffirmée dans un contexte où la CEDEAO demande explicitement un civil. De plus, l’organisation sous-régionale demande également un premier ministre civil. 

Cette approche risque fortement d’accentuer l’incompréhension et les tensions entre une grande partie des populations maliennes et la CEDEAO. Dans les rues et les « grins » de Bamako, on constate rapidement ce début de radicalisation contre la CEDEAO avec la menace que le Mali se retire de l’organisation. Il y a quelques jours, cette position connaissait encore des opposants « nuancés ». Mais, depuis quelques jours, elle est reprise par des intellectuels et des hommes politiques sur les chaines de télévision et sur les réseaux sociaux. 

Alors, vraisemblablement, entre une partie des populations maliennes et la CEDEAO, quelque chose s’est cassé. Et l’intransigeance de la CEDEAO sur le statut « militaire » ou « civil » du président et du premier ministre de la transition risque fortement de paraitre comme une énième forme de pression et d’’ingérence. 

Une organisation qui se cherche 

Il y a, en effet, un risque réel à vouloir aller vite comme le fait la CEDEAO. Aller plus vite dans ces conditions avec le Mali n’est pas un bon signe au regard des approches qui s’affrontent au sein de l’organisation depuis le début de la gestion de cette crise malienne. D’abord une approche conservatrice et à cheval sur les règles. Il s’agit de celle défendue par la Côte d’Ivoire et la Guinée. Les tenants de cette approche, les présidents Ouattara et Condé, s’appuient sur des principes dont la légitimité politique est mise à mal souvent par eux-mêmes. C’est le cas avec les troisièmes mandats. 

À côté, il y a une approche plus souple. Cette dernière évoque qu’il y a manifestement eu un putsch « condamné » mais qu’il n’est pas question d’ « affamer » les Maliens et se mettre en difficultés commerciales avec un partenaire important. C’est l’approche économique et humanitaire défendue par le président Macky Sall. La troisième approche est indépendantiste du Nigéria, déjà exprimée sur la monnaie unique « ECO ». Pour Buhari, tous les États doivent se soumettre aux règles communes. Et enfin, il y a l’approche défendue par Umaro Sissoco Emballo, celle du « ni coup d’État militaire et ni coup d’état civil (en référence aux troisième mandats) ».

Il y a donc un réel problème de consensus sur la gestion de la crise malienne par la CEDEAO, et cela illustre en partie les difficultés profondes au sein de l’organisation. Ainsi, les divergences ne favorisent pas un meilleur accompagnement du Mali.  

Options

Il est urgent qu’il y ait une forme d’accalmie rapide dans les prochains jours. Le risque de voir le Mali se retirer de l’organisation est de plus en plus sérieux. Et il serait dommage, d’un point de vue historique et économique, de voir un membre de premier rang de l’organisation se retirer dans ces conditions. 

Plusieurs options se présentent au Mali pour la transition. Un civil à la tête de la transition, sans grande autorité sur les forces politiques en présence et l’armée, risquerait de « tourner en rond » et d’être confronté au scepticisme des Maliens. Une personnalité civile, dotée d’une légitimité militaire et d’une expérience diplomatique et faisant consensus, n’est pas à exclure. Or, dans un climat sociopolitique marqué par un rejet massif de la classe politique, l’idée d’une transition militaire ne paraît pas déplaire au Mali. 

A défaut d’un militaire, le Mali dispose de nombreux généraux retraités de qualité «retournés à la vie civile ». Certains d’entre eux ont d’ailleurs exercé pour le compte de la CEDEAO dans différentes mission de maintien de la paix et de sécurisation du processus de transition politique. C’est le cas du général à la retraite Mahamane Touré dont le nom est cité depuis quelques semaines ainsi que d’autres personnalités politiques.


  • Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas forcément celles de Benbere

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