L’apparition de la maladie à coronavirus (Covid-19) et les mesures préventives prises par les autorités ont frappé de plein fouet le secteur culturel au Mali, plongeant ainsi ses acteurs dans une traversée du désert.
L’interdiction de tout rassemblement à caractère festif et social, depuis l’apparition de la maladie à coronavirus au Mali, fait partie des mesures préventives prises par les autorités maliennes. Résultat : les concerts, festivals, spectacles ont été renvoyés aux calendes grecques. Les baptêmes et mariages sont célébrés sobrement.
Or, ces activités permettent aux artistes et opérateurs culturels de vivre de leur art. «Cette période est vraiment difficile, confie Amadou Kébé, dit « Dr Keb », jeune rappeur. Déjà avec la Covid-19, tous les spectacles ont été annulés ou reportés et ça se prolonge dans le mois de ramadan. On avait des spectacles programmés qui sont tous tombés à l’eau avec l’arrivée de la pandémie. Sans spectacle, il n’y a pas d’argent pour les artistes. » Au Mali, comme partout dans le monde arabo-musulman, le mois de ramadan est connu comme étant un moment de « break » en termes d’activités culturelles.
Cette situation frappe de plein fouet le secteur culturel, notamment les artistes et opérateurs culturels qui traversent une période de vaches maigres. L’humoriste Djéli Moussa Kouyaté, dit « ATT Junior », confie d’emblée qu’il vit mal la situation : « Je parle en mon nom, la pandémie a bloqué le secteur culturel. Je vis mal la situation, parce que je suis en train de toucher à mes économies.» La seule chose qui soulage un peu, selon certains artistes, est le fait de profiter de cette période sans activité pour préparer l’après-coronavirus, qu’ils espérèrent voir très bientôt.
Des victimes oubliées
Cette situation a engendré une perte considérable dans le secteur culturel au Mali. Le manque à gagner pour ces acteurs, d’ici à août 2020, est évalué à 1 milliard 230 millions de francs CFA, selon la Fédération des artistes du Mali (FEDAMA). Cette dernière tente, tant bien que mal, de secourir le secteur qui venait de reprendre son envol après avoir profondément été touché par la crise multidimensionnelle dans laquelle le Mali a été propulsé en 2012 par le coup d’État du 22 mars et la rébellion animée de velléités indépendantistes.
La FEDAMA a adressé, le 18 mars dernier, une lettre ouverte au Président Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK », non moins Coordinateur des actions culturelles de l’Union africaine (L’UA), afin d’attirer son attention sur ce que vit le monde de la culture en cette période de crise sanitaire.
Cependant, dans son discours à la nation du 10 avril 2020, le Président Keïta a annoncé des mesures d’accompagnement en faveur des couches vulnérables et des acteurs économiques. Il a parlé de la prise en charge des factures d’eau et d’électricité, avec une exoration de la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) pour des personnes démunies ainsi que d’autres mesures sociales pour une enveloppe de 500 milliards de francs CFA. Il a terminé son discours sans piper mot sur le secteur culturel, pourtant l’un des plus durement touchés par la crise sanitaire.
Les artistes et opérateurs culturels semblent devenir des victimes oubliées de cette crise sanitaire. « Parfois, il faut juste faire confiance. Voilà, c’est fait…Comme c’était conçu et programmé mais pas encore annoncé, maintenant c’est clair. Le Président du Burkina Faso met 1 milliard 25 millions de francs CFA pour soutenir le secteur des arts et de la culture éprouvé en ces temps difficiles », a publié la FEDAMA sur sa page Facebook, le 6 avril dernier. Une façon, sans doute, d’inciter autrement le gouvernement malien à prendre l’exemple sur le « pays des hommes intègres ».
Des pertes considérables
Suite à l’apparition de la Covid-19, une dizaine d’évènements culturels de taille au Mali ont directement été touchés, parmi lesquels le Festival international de Sélingué, qui était prévu du 19 au 21 mars, le Festival international de slam et humour du Mali (16 au 21 mars) et le mégaconcert du groupe de rap Calibre 27, qui devait avoir lieu ce 21 mars au Stade-26 Mars. Ces événements, dans lesquels des sommes colossales ont été engagées, sont reportés à seulement quelques jours de leur date de programmation, causant ainsi des pertes considérables aux prometteurs. « Nous avons enregistré des pertes qui s’élèvent à environ 4 millions de francs CFA suite au report de notre concert, notamment sur le plan de la communication. Et, malheureusement, tout est à refaire si on reprogramme le concert », regrette Mohamed Kida, manager du groupe de rap Calibre 27. Le promoteur du Festival international de slam et humour, Aziz Siten’k, slameur, déplore pour sa part une perte d’environ 6 millions de francs FCFA. Que dire de tous ces griots qui vivent des mariages et baptêmes ?
La seule bonne nouvelle pour les artistes et structures culturelles maliennes se limite, pour le moment, à l’appui du Fonds Maaya avec ses deux fonds spéciaux : le Fonds d’urgence et de solidarité pour les artistes (FUSA), qui vise à donner par an à 100 artistes la somme de 660 000 francs CFA chacun. Il y a aussi le Fonds de soutien à la structuration des organisations culturelles, qui s’élève à 5 000 000 de francs CFA. Ces deux fonds font l’objet d’un appel à candidatures dont les résultats sont attendus très prochainement. Une initiative saluée par le monde culturel malien.