Les jeunes de Badialan II, en commune III du district de Bamako, ont affronté les forces de l’ordre, le 2 avril 2019, pour s’opposer à la vente d’un terrain de sport. Au Mali, ces espaces de loisirs sont plus que jamais devenus sources de tensions entre la jeunesse et les spéculateurs fonciers.
Tout est parti d’un litige autour d’un terrain de sport vendu à une compagnie de transport, qui voulait y construire une gare en plein cœur de la capitale. Un conflit qui a terminé en affrontements entre jeunes et forces de l’ordre le 2 avril 2019 dans le quartier populaire de Badialan II, en commune III du district de Bamako.
Bamako, avec 8% de croissance par an, est l’une des villes qui croît le plus rapidement en Afrique. Cet accroissement de la population augmente, par ricochet, les besoins en logements, créant ainsi une forte pression sur le foncier. Les élus sont attirés par l’argent facile qu’ils peuvent tirer de la spéculation foncière. Ils n’épargnent ni les terrains de sport, ni les places publiques encore moins les espaces verts et même quelques fois les cimetières.
« Comme l’État, qui doit stopper cela, est également affaibli et animé par des malhonnêtes quelques fois, il y a des complicités et ensemble, avec les élus, ils tuent le foncier urbain. Regardez les collines de Bamako, c’est à mourir de colères », peste un ancien maire d’une commune du district de Bamako.
Des jeunes indignés
Les jeunes de la commune III ont entrepris des actions pour empêcher les travaux de construction de la gare sur le terrain de football, conduisant ainsi à une intervention de la police qui a dégénéré en affrontements. Des jeunes ont brûlé des pneus, alors que d’autres lançaient des cailloux à destination des forces de l’ordre. Un renfort de la police est arrivé et a dispersé les jeunes à l’aide de gaz lacrymogènes.
Le siège du parti PRVM Fassoko a été saccagé ainsi qu’un salon de coiffure attenant. « Ils sont allés jusque dans ma famille pour prendre notre téléviseur et les volailles des enfants », rapporte Lassy Diakité, conseiller municipal issu du parti dont la famille est également proche. Il soupçonne ses adversaires politiques d’avoir fomenté cette manifestation et d’avoir manipulé les jeunes.
« En réalité, personne n’allait sortir perdant dans l’histoire, car une partie aurait été aménagée pour les jeunes, et une autre pour la compagnie de transport. Mais cette manifestation est purement politique, selon moi », ajoute-t-il. Lassy Diakité est accusé par certains jeunes d’être impliqué dans la vente du terrain de sport et aurait même été vu sur les lieux en compagnie du nouvel acquéreur. Un doigt accusateur est aussi pointé à l’encontre de Tenin Diaby, présidente de la jeunesse de la commune. « Je n’ai signé aucune autorisation de vente, mais comme je me suis exprimée clairement contre une manifestation pour éviter toute violence, les jeunes en ont déduit que j’étais complice de cette vente. »
« Trop de foutaises dans ce pays »
La police a procédé à l’interpellation de sept jeunes dont quatre ont été libérés. « Rien ne pouvait nous arrêter, car il y a trop de foutaises dans ce pays, s’insurge Ablo, un jeune du quartier de Tominkorobougou. En plus d’être privés de notre terrain de sport, c’est notre sécurité qui est en jeu. Il y a le rail à droite et le goudron à gauche. Il y aussi des gens qui exercent des petits commerces à côté qui ont été chassés et privés de leur source de revenus. »
Selon nos informations, le ministre de la Jeunesse et de la Construction citoyenne, à l’époque d’Amadou Koïta, a dû intervenir pour obtenir l’annulation de la vente du terrain. Les jeunes ont déposé une demande à la mairie de a commune III, selon Tenin Diaby, pour mettre le terrain au nom de la jeunesse.
Ces affrontements entre jeunes et forces de l’ordre au sujet d’espaces de loisirs sont aussi enregistrés dans plusieurs autres localités du Mali. Un cas similaire survenu à Tombouctou a été rapporté par Benbere.
De l’avis de beaucoup d’observateurs, l’épisode de la commune III est la preuve que les jeunes sont prêts à en découdre avec quiconque menace leurs espaces de loisirs, ce qui démontre l’urgence de trouver des solutions. Certains proposent notamment de « recenser rapidement tous les espaces publics de Bamako, les marquer et associer les populations pour les déclarer hors de toute opération de spéculation foncière ».
« Cela est d’autant plus facile qu’un décret présidentiel datant de l’époque d’Alpha a déjà protégé ces espaces. Il faut évidemment faire de la publicité autour de ce dossier, alerter les médias et les réseaux sociaux et que les jeunes n’acceptent plus jamais qu’un seul espace soit vendu », conclut Moussa Mara, ancien premier ministre, qui a été aussi maire de la commune IV et ministre de l’Urbanisme.