Cher cadet,
Je t’adresse ces quelques lignes pour prendre de tes nouvelles et, en même temps, te rappeler l’immense chagrin que tu laisses derrière toi, depuis que tu as été embrigadé par ces « fous de Dieu », shootés au Coran qu’ils détournent.
C’est vrai, nous avons usé de tous les moyens pour te dissuader, te convaincre que tu faisais fausse route… Et qu’à ton jeune âge, on doit s’employer à vivre, non à mourir, serait-ce pour le paradis qu’on vous fait miroiter. « Il n’y a pas de contrainte en islam », tous nos érudits ne cessent de le rappeler.
Valeurs de cohabitation pacifique
Papa t’avait confié à Thierno Idrissa dès tes sept ans pour qu’il t’apprenne le saint Coran et les fondements de notre islam tolérant, ouvert, hérité de la Dina. Un islam en phase avec nos valeurs de cohabitation pacifique, de dialogue. Papa fondait beaucoup d’espoir en toi. Ton intelligence, ton aptitude à manier les lettres arabes et la justesse de ton « kalamou » te prédestinaient à prende la place de grand-père, Alpha Nouh, mémorable érudit de notre contrée de tous les temps.
« Falkarou (statut d’étudiant dans le processus de mémorisation du Coran) », tu étais admiré par ton maître et tes condisciples. Les oracles te prédisaient un avenir plein de sagesse. Lors de vos concours « Djarwa » au niveau local ou régional, tu étais toujours le porte étendard de votre « duddal (école) ». Les jeunes femmes de la contrée chantaient en ton honneur.
Seconde chance
Nous autres, considérés comme des Toubab à la peau noire, en tirions gloire chaque fois que ton nom est égrené parmi les jeunes qui maitrisent le Coran dans la région. A cet instant précis, j’ai des larmes aux yeux, la main qui tremble…J’essaye toujours de comprendre comment tu es arrivé à te renier, à laisser de côté les valeurs morales que tu as reçues.
Je sais, rien ne justifie une telle folle entreprise que ta naïveté et ta sensibilité. C’est pourquoi, je ne t’en veux pas. Je n’ai pas suivi le mot d’ordre de la famille, qui a décidé de faire une croix sur ta vie. J’ai la conviction que toi et beaucoup d’autres dans ta situation, vous regrettez vos choix et aimeriez être avec vos proches.
Je t’écris pour te rassurer que mon cœur meurtri continue de te porter. Toi et tous les autres, qui n’ont pas les mains tâchées de sang, vous avez le droit de vous racheter ! Vous avez droit à une seconde chance ! Votre place est parmi nous, pas dans la brousse stérile du Wagadou !