Malgré les plans et les dispositifs, les routes de Bamako sont toujours aussi chaotiques en période d’hivernage. Nous avons essayé de cerner ce phénomène, source de nombreux inconvénients pour le citoyen.
C’est sous des averses de pluie, ce 12 août à Bamako, que les citoyens les plus téméraires vaquent à leurs occupations. Car en saison d’hivernage, le moindre parcours peut devenir un véritable rodéo. Il est 13h à Kalabancoro, où la route principale allant à l’université de Kabala connaît un embouteillage monstre. Un trou géant, au milieu de la route, ralentit le trafic. Les voitures y pénètrent avec précaution, les plus petites voitures étant visiblement à la peine, tandis que la plupart des motos, une fois engagées dans le « petit marigot » qui couvre la chaussée, s’y éteignent simplement, tellement est haut le niveau de l’eau au point d’atteindre les parties sensibles du moteur.
Les eaux de pluie ruissèlent de tous les côtés pour se retrouver sur la route, bloquées sans issue : les caniveaux, ici et là, sont bouchés par le sable ou les ordures, ou sont inexistants, ne laissant aucune échappatoire à l’eau.
La saison des pluies ou le cauchemar
Issiaka Guindo est maçon, la trentaine. Il pousse sa moto, avec l’aide de son collègue, hors du trou béant de la route. Une fois sur la terre ferme, il tente de redémarrer sa moto sans succès. Pendant ce temps, les automobilistes les plus impatients klaxonnent à tout-va, créant une cacophonie assourdissante. Les véhicules 4 x 4 plongent et ressortent rapidement, éclaboussant les alentours. « C’est vraiment énervant cette situation, on fait toujours face au même problème dans ce pays. On souffre pour avoir l’argent, nos taxes sont payées mais on ne bénéficie de rien de correct. Rien ne nous apaise », enrage Issiaka. « Il serait vraiment temps que les responsables s’assument, je suis obligé d’aller chez un mécanicien pour dépenser encore de l’argent », ajoute-t-il. Son collègue, deux pelles sur l’épaule gauche, suit le jeune maçon qui pousse sa moto dans l’espoir de trouver rapidement un mécanicien sous cette pluie.
Ahmed Tounkara, un étudiant trempé de la tête aux pieds, a préféré longer les abords de la route, moins profonds. « La saison des pluies est un cauchemar pour nous. L’état des routes, un peu partout, est catastrophique. Je peux m’estimer chanceux, il y en a qui perdent la vie sur nos routes… », affirme-t-il.
Non loin de là, les eaux de pluie ont envahi la moitié de la surface d’une station-service. Nouhoum Waïgalo, 36 ans, est gérant d’une quincaillerie, et observe la scène depuis son magasin. « Mon perron est submergé par les eaux, aucun client ne prendrait le risque de venir faire ses achats », indique-t-il. « A quoi servent nos impôts et nos taxes ? Pourtant la mairie ne manque pas de venir réclamer les taxes communales à plusieurs reprises dans l’année », renchérit-il. Alors qu’on discute, il reçoit un appel. C’est son épouse qui l’informe que l’enceinte de leur maison, à Magnambougou, est envahie d’eau !
Qui est chargé de l’entretien des routes ?
Le 3e adjoint au maire de la Commune V, Adama Konaté, chargé des aménagements, acquiesce : « Je suis personnellement interpellé par les riverains, que ce soit pour signaler l’état des routes ou des cas d’inondation », affirme-t-il. Vêtu d’une veste bleu marine foncé, crâne dégarni, il laisse échapper une nuée de fumée et se débarrasse de son mégot de cigarette. Il nous invite à le suivre dans son bureau.
Selon Adama Konaté, avec la décentralisation, « l’entretien des routes locales et régionales revient aux collectivités ». Mais à ce jour, « il n’y a pas eu de transfert de technique ni de ressources. L’État gère absolument tout depuis que j’occupe ce poste, bientôt 6 ans », déplore-t-il.
Cependant, il est à noter que le 27 novembre dernier, dans le cadre du Programme d’entretien routier d’urgence, une partie de la gestion est confiée à la Mairie du district, une première. Désormais, l’entretien des routes à Bamako est assuré par l’Ageroute (Agence d’exécution des travaux d’entretien routier), la Mairie du District (maître d’ouvrage), le Gouvernorat de Bamako et la Cellule technique d’appui aux collectivités (CTAC), selon Adama Konaté.
Madame Dougnon Delphine Dougnon, 3e adjointe au maire de la Commune VI, abonde dans le même sens. « Il n’y a pas eu de transfert financier aux collectivités. Les mairies, la nôtre particulièrement, sont désargentées. Nous avons des difficultés à payer nos agents », dit-elle. Avec les moyens du bord, les mairies assurent l’assainissement : curage des caniveaux, gestions des ordures, sensibilisation des populations, assure-t-elle.
Interrogé, Fodé Coulibaly, Directeur général de ECGF, une entreprise de BTP, confirme que c’est l’Autorité routière et l’Ageroute, sous tutelle du ministère des Transports et des Infrastructures, qui se chargent de l’entretien. Un entretien qui se tient au moins deux fois par an dans les normes, et avant l’hivernage.
Si, en 2021, les autorités de transition ont en effet débloqué 5 milliards francs CFA pour l’entretien routier du district de Bamako, Mahamadou Kansaye, adjoint au maire de la Commune III, tempère : « Cette action inédite est louable, mais elle est en réalité dérisoire au regard des routes à faire ou à refaire, et des enveloppes transmises aux mairies ». Au regard de l’insuffisance des fonds, il suggère, pour que les entretiens routiers ne soient bâclés, de consacrer tous les fonds à une seule commune chaque année.
L‘eau, ennemi des bitumes
Un point sur lequel tout le monde tombe d’accord : l’insalubrité est indissociable du mauvais état des routes. C’est ce que souligne Mme Dougnon Delphine Dougnon : les gens déversent leurs ordures dans les canaux d’évacuation des eaux, empêchant ainsi toute circulation des eaux. Les eaux de pluies se retrouvent sur le goudron, peuvent entrainer des inondations et, au final, la perte de vies.
Fodé Coulibaly, dont l’entreprise a décroché le contrat d’entretien des routes de la Commune V, estime que « l’eau reste le premier ennemi des bitumes ». La principale raison qui cause la stagnation des eaux sur le bitume est liée au fait que les caniveaux sont pratiquement tous bouchés par les ordures déversées par la population, regrette-t-il. Il précise : les enrobés à Bamako varient entre 3 et 5 cm la couche, lorsque que l’eau s’y infiltre pendant 1 à 2 mois, avec le poids des véhicules, le goudron se fissure. Ces fissures deviennent des trous de plus en plus grands avec la circulation.
Moussa Diarra, la soixantaine, un habitant de Magnambougou, évacue les eaux de pluie stagnantes devant son domicile. « C’est par manque de politique de gestion que les gens déversent leurs ordures dans les caniveaux, espérant que les eaux de pluies les emporteront », dit-il. Pour lui, les quelques groupements d’intérêt économique (GIE), les charretiers, manquent de dépôts d’ordures ou souvent considèrent que les dépôts de transit sont trop éloignés.
A la mairie de la Commune VI, on se défend : « C’est la population elle-même qui proteste contre l’établissement d’un dépôt de transit ! Soi-disant, les odeurs dérangent. Nous avons eu droit à plusieurs manifestations avant de laisser tomber ce projet », affirme Dougnon Delphine Dougnon. Un financement de 50 millions francs CFA par une ONG était pourtant acquis pour sa construction.
La corruption tourne dans le milieu
La Cellule technique d’aAppui aux collectivités (CTAC), mise en place en 2018 pour appuyer toutes les communes du Mali dans leur projet de développement, assiste les celles qui la sollicitent. Pour Amadou Konaké, directeur général adjoint de la CTAC, 480 millions francs CFA ont été mises à la disposition. Mais c’est « une somme très insuffisante », dit-il, suggérant dans ce cas d’identifier des projets prioritaires.
Imputer le mauvais état des routes à « l’incivisme de la population » est trop simple dans notre cas, juge-t-il. Au Mali, tout le pouvoir est concentré dans une main pour ne pas laisser de marge d’initiative, s’il y en a. L’adjoint au maire Adama Konaté, de son côté, se livre sans ambages : « Ce qu’on ne dit pas, c’est que la corruption tourne dans ce milieu. Avant la Transition, des fonds étaient débloqués pour l’entretien routier sans qu’on ne voie jamais de réalisation ». A titre personnel, Adama Konaté indique qu’il lui a été demandé de signer des PV de réception d’ouvrages jamais réalisés.
Si le problème d’entretien des routes reste donc entier, pour Fodé Coulibaly « chaque pouvoir a sa manière de gérer… cependant il y a eu plus de fonds débloqués pour l’entretien des routes sous la transition que sous les pouvoirs démocratiques ».
Au laser ____________________________
Actuelle ministre des Transports et des Infrastructures, Dembélé Madina Sissoko, ancienne Directrice nationale de la formation professionnelle, est ingénieure du génie civil et une spécialiste du secteur de la construction. Elle a multiplié les visites de terrain depuis sa nomination. Invitée en mai dernier sur le plateau de l’émission Mali Kura Taasira de l’ORTM, la télévision nationale, elle expliquait que les 5 milliards de francs CFA débloqués en 2021 pour le district de Bamako faisaient partie d’un transfert global de 15 milliards francs CFA destinés aux entretiens routiers du Programme d’urgence 2021. En 2022, c’est 20 milliards francs CFA qui devaient être débloqués pour l’entretien routier dans l’ensemble du Mali.« Avec un tel montant, disait-elle, nous sommes confiants que beaucoup sera fait. Les travaux en cours consistent à refaire les voies les plus dégradées, agrandir les caniveaux et les couvrir pour que les eaux de pluie ne stagnent plus sur le bitume. Nous demandons l’indulgence de la population, car les travaux perturbent la circulation. Mais aussi, il est primordial que les uns et les autres changent certaines mauvaises habitudes. Très souvent, certains citoyens balaient et déversent leurs ordures dans les caniveaux, les bouchant. »
Les fonds à disposition proviennent de la Redevance d’usage sur les produits pétroliers, qui s’élève à 7 francs CFA par litre. Toutefois, les années passées, « le ministère n’avait pas accès à ces fonds ».
Les moyens, à condition qu’ils soient libérés, sont-ils suffisants ? Ce n’est pas l’avis de Sekou Kontaga, directeur général de l’Ageroute, qui en 2021 évaluait les besoins d’entretien des routes du Mali à 120 milliards de francs CFA, pour une dotation de 20 milliards, soit moins que la seule ville de Dakar. En 2022, le budget devait passer à 46 milliards, en incluant le fonds d’urgence de 5 milliards décaissé pour le district de Bamako.
Nos tentatives pour faire réagir la Mairie du district, le Gouvernorat, l’Ageroute, la Direction nationale des transports et le ministère des Transports et des Infrastructures sont restées sans suite. On signalera toutefois que la question de la répartition des compétences entre communes, État et agences d’exécution est un vieux débat. Si les compétences, concernant l’entretien des voies communales, ont bien été transférées aux communes (selon le décret n° 2018-0234/P-RM du 6 mars 2018, faisant suite à un dispositif codifié depuis 2005), il manquait la mise en œuvre du volet financier. Ceci, jusqu’à la signature en 2020, entre le département des Transports et celui de la Décentralisation, des conventions portant transfert de ressources.
C’est un pas, qui ne suffira pas à régler tous les problèmes. Si l’on se réfère à une allocution, en 2019, de la ministre d’alors des Transports et des Infrastructures, Mme Zeynabou Diop, les acteurs institutionnels de la route ont à faire beaucoup d’efforts pour répondre aux attentes : elle invitait alors fermement la Direction nationale des routes, la Direction générale de l’Autorité routière, la Direction générale de l’Ageroute et l’ensemble des services intervenant dans le secteur des routes, « à plus de rigueur et de proactivité dans l’exécution et le suivi des travaux ».
Elle déplorait « le manque de professionnalisme » des services dans les procédures d’approbation des études préparatoires et dans l’exécution, créant un phénomène excessif d’avenants modificatifs aux contrats et conventions déjà signés. Elle dénonçait les délais de réalisation, et concluait : « Je voudrais inviter l’ensemble des responsables en charge de la commande publique, à avoir comme seules règles dans leurs analyses des offres et surtout dans leurs propositions d’attribution des marchés et contrats, l’équité, la transparence, l’impartialité et la célérité… Enfin, nous devons mettre fin au népotisme, au clientélisme et au retard dans l’exécution des travaux. »
Je lis vos articles avec intérêt. Vous abordez toujours les vrais problèmes qui, semblent être ignorés par les autres professionnels de presse. Bonne continuation à vous. Je voudrais d’ailleurs travailler avec vous si vous me le permettez.