« Mounyou ni sabali ? » (Supporter et pardonner ?), le documentaire du journaliste et réalisateur malien, Kaourou Magassa, a été projeté à Bamako, dans le cadre du festival Ciné droit libre. De Bamako à Paris via New York, le documentariste donne la parole à des femmes maliennes victimes de violences sexuelles à qui la société impose le silence. Il répond aux questions de Benbere sur ce film réalisé en 2019.
Benbere : Comment vous est venue l’idée du documentaire ?
Kaourou Magassa : L’idée est venue de mon observation de la société malienne. Il y a au sein de la société malienne le principe du « Mounyou ni sabali », qui veut qu’on accepte, supporte, pardonne. Ce principe, qui était là pour la résilience et demandait que tout le monde fasse des efforts, est devenu un poids pour les femmes. On leur demande de tout accepter, pardonner, même les choses les plus horribles comme les violences physiques, sexuelles. Ce n’est pas normal ! Je rappelle aussi qu’en début 2018, il y a eu une série de viols qui ont été médiatisées et qui ont choqué l’opinion publique malienne. Tout cela m’a fait réfléchir. Je me suis dit qu’il était peut-être temps de parler de ces choses-là en donnant la parole aux concernées.
Le film a été tourné entre Bamako, New York et Paris. Le « Mounyou ni sabali » existe-t-il aussi au sein de la diaspora malienne ?
En effet, le film se passe dans trois villes : Bamako, New York et Paris. Dans ces trois villes, il y a des personnes de la communauté malienne. Et ce que je trouve très intéressant avec elles, c’est qu’elles exportent avec elles leur culture lorsqu’elles immigrent. Dans le bon sens du terme, mais aussi dans le mauvais parfois. Hélas !
Combien de temps a duré la réalisation du documentaire ?
Les recherches, les rencontres, la passion qu’on y a mise nous ont pris un peu plus d’un an. En fin 2017, début 2018, c’était acté. J’avais cette idée depuis longtemps. J’ai bénéficié d’un programme de Ciné droit libre à travers un appel à projet qui m’a aidé en termes de financement.
https://afrique.tv5monde.com/videos/mounyou-ni-sabali-supporter-et-pardonner
Le film a justement été projeté dans le cadre du festival Ciné droit libre 2021 à Bamako. Y a-t-il eu un engouement autour du sujet ?
La projection du film a été très intéressante. Je rappelle que l’objectif du festival Ciné droit libre c’est « un film, un débat ». Dans le cadre des violences, il n’y a pas de débat. On peut échanger, avoir des conversations mais il faut que ça cesse tout court. Chacun peut avoir ses arguments mais personne n’est pour la violence, personne n’est pour les crimes. Il y a eu une conversation très intéressante avec des femmes qui appartiennent à différentes structures. Le public est également intervenu. C’est un sujet qui concerne véritablement la société malienne. Les gens ont envie de se poser des questions, de comprendre et trouver des solutions. Les femmes qui sont dans le film sont très courageuses. Les travailleuses des organisations non gouvernementales le sont aussi. Peut-être que le gouvernement ou le reste de la société a des pistes.
L’idée du « Mounyou ni sabali » va au-delà du viol. Il intervient dans le mariage. Pourquoi cet aspect n’est pas abordé dans le film ?
Le «Mounyou ni sabali » est un principe social. Il s’applique effectivement dans le mariage. Et c’est là où les femmes en entendent le plus parler. Mais il intervient dans tout. L’idée du film, c’était de l’appliquer sur les violences sexuelles. C’est quelque chose qui revenait le plus souvent comme un poids qui surchargeait les personnes concernées et les personnes qui réfléchissent à ce sujet. Notons d’ailleurs qu’il n’y a pas que des victimes dans le film, il y a aussi des psychologues, des militantes.
Quelqu’un d’autre voudra peut-être s’attarder sur la question du mariage qui est aussi très intéressante. Ce sont les violences sexuelles qui nous préoccupait dans le film. Pour moi, c’est l’une des violences les plus extrêmes. La société ne doit pas demander que cela soit pardonnable au nom du principe du « Mounyou ni sabali ».
La tradition est très ancrée au Mali. Ne craignez-vous pas que le film soit vu comme une sorte de rébellion contre ce qui est considéré comme la norme depuis longtemps ?
Au contraire, la tradition fait tout pour protéger ses enfants. Elle est juste, sinon qu’elle tente de l’être. Ce film est là pour pousser à la réflexion. Pour ceux qui l’ont remarqué, il y a un point d’interrogation au titre. Je ne dis donc pas que c’est bien ou mal, car ce n’est pas mon rôle. Mais j’incite à réfléchir à ce qu’on fait de ce principe constant qui, hélas, a été dévoyé. A qui la faute ? Pas à moi en tout cas (rires). Une chose est certaine, si on conserve ce principe dans le bon sens du terme, c’est une très bonne chose. Vouloir lever les tabous ne veut pas dire qu’on est contre quelque chose.
Dans quel état d’esprit se trouve actuellement la victime de Bamako ?
Déjà, dans le film ça commençait à aller. Actuellement, elle va bien. J’ai eu de bonnes nouvelles à son propos. Nous avons toujours le contact, mais comme elle est anonyme dans le film, je préfère ne pas trop parler d’elle, de ce qu’elle est aujourd’hui, de peur de donner des indices. Mais, il y a des avancées.
Kaourou Magassa est documentariste. Journaliste également, il correspondant au Mali pour TV5 Monde et Radio France Internationale.