Les jeunes femmes sont nombreuses qui durent dans le célibat. La raison : leurs mères sont jugées « insoumises ou méchantes ». A cause de cette croyance, qui recueille largement l’adhésion, le rêve de mariage d’un nombre considérable de jeunes femmes tourne au cauchemar.
Cet article a d’abord été publié dans le quotidien Le Pays.
« A 28 ans, je suis toujours célibataire. Les gens parlent de la rigueur de ma maman comme le signe d’une méchanceté et jugent mes grandes sœurs et moi à travers cela. » Ainsi parle Maïmouna (*), vivant à Kalabancoro, quartier en périphérie de Bamako sur la rive droite du fleuve Djobliba.
Les partenaires sérieux, sur lesquels elle est tombée, ont fini par la laisser en rade. Il en va de même pour ses sœurs ainées, dans la trentaine. Et pour cause. Les familles avoisinantes dans le quartier, auprès desquelles les prétendant mènent des enquêtes comme il est d’usage de le faire, trouvent « que notre maman est acariâtre et que nous sommes à son image », ajoute Maïmouna. Selon elle, il est reproché à leur maman de ne pas être « une épouse soumise », qui « aime les parents et amis de son époux ». Sentence implacable des « gardiens de la conduite » dans la société : telle mère, telle fille.
Au Mali, impossible de compter sur les doigts d’une main les jeunes femmes prises entre le marteau de la pression sociale pour se marier et l’enclume des considérations liant leur mariage à la conduite de leur mère. Elles payent ainsi le prix du caractère jugé « acariâtre », « insoumis » de cette dernière.
Croyance répandue
A Niamakoro, un quartier populaire de Bamako, nombre d’interlocuteurs ont affirmé qu’ils n’accepteront pas que leurs « proches prennent en mariage des filles de femmes méchantes et insoumises ». « Je n’accepterai pas que mon frère ou un de mes proches épousent les filles de la famille voisine. Leur mère domine son mari, lui crie dessus chaque jour », témoigne cet habitant, la trentaine tassée. Il est aussi sûr, que deux et deux font quatre, que « celui qui épouse ces filles aura pris un sac à problèmes. Elles seront sans doute comme leur mère. Elles pourraient difficilement se soumettre à un époux ».
« C’est pourquoi on conseille, dans nos sociétés, aux jeunes de bien choisir les familles dans lesquelles ils souhaitent prendre femme. Car dans une famille, si la maman est bonne, les enfants seront bons. Ses filles seront de bonnes épouses », défend Adama Togo, traditionnaliste. Les filles sont-elles condamnées à avoir les mêmes caractères que leur mère ? Togo, lui, soutient mordicus que « si la femme bat son mari dans le foyer, ses filles, une fois mariées, battront leur époux ». « Depuis les temps anciens, cela a été une réalité dans nos sociétés. Si la femme est méchante, ses filles le seront aussi ».
Pourtant, cette croyance très répandue et qui recueille largement l’adhésion dans la société n’a pas de fondement religieux. A en croire l’abbé Vincent Somboro, dans le domaine de la foi, ce qu’on traduit par « méchanceté » à propos des femmes n’est pas transmissible de mère en fille. Abondant dans le même sens, l’imam Boubacar Traoré explique que bien que l’islam recommande à la femme d’être soumise, « il n’est pas dit que si la mère est jugée acariâtre ou méchante, sa fille aussi le sera ».
Soumettre les femmes
Sociologue et enseignant au département socio-anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, Fodié Tandjigoura voit dans ce phénome une croyance infondée entretenue par les hommes pour maintenir les femmes sous leur joug : « C’est une idéologie, estime-t-il, qui consiste à faire soumettre les femmes aux épreuves les plus impossibles. L’une des vertus d’une femme, c’est de se résigner et d’être d’accord avec tout ce que son mari lui fait. » A l’en croire, il s’agit surtout de la survivance de pratiques traditionnelles qui favorisent l’homme sur la femme. « C’est fait pour que la femme reste dans sa soumission et qu’elle ne puisse pas tenir tête aux hommes, et qu’elle accepte tout. Non pas pour les hommes, mais pour leurs filles qui sont appelées à se marier. »
Un constat qui fait écho à celui, implacable, dressé par Ibrahima Ly dans son roman Toiles d’araignée en 1982 : « Notre société fait des femmes de véritables otages. Chez nous, le succès de l’enfant dépend non pas de son intelligence et de son habileté, de sa persévérance dans l’effort et de son courage, mais uniquement de la capacité de résignation de sa mère, de la passivité de celle-ci face aux insultes du père, des coépouses, des belles-sœurs. La résignation est la clé de voûte de note société… »
Ainsi, il ne s’agirait que de ce que Mona Chollet, dans son essai Sorcières. La puissance invaincue des femmes (2018), appelle des « injonctions et croyances qui emprisonnent les femmes et les conduisent sur le bucher à l’époque des grandes chasses aux sorcières du XVIe siècle ». Aïssata Bocoum, activiste des droits des femmes au Mali, regrette un « phénomène de misogynie » encouragé par la « tradition ». « Ces femmes jugées méchantes ne le sont pas réellement, défend-elle. Elles exigent le respect pour elles. Elles ne veulent pas être considérées comme des objets mais des humaines ». Bocoum plaide pour que « ce jugement erroné à l’encontre des femmes soit corrigé ».
(*) Le prénom a été modifié
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