Ce matin, un groupe de femmes, balai en main, procède au nettoyage d’une partie de la Cité du Niger à Bamako. Masque au nez en ce début d’harmattan, ces dames occupent chacune une rue, selon une répartition faite par Élie Témé, qui les supervise et s’assure « qu’aucun déchet n’échappe à l’équipe ».
Au nombre de 10, les travailleuses sont employées par un groupement d’intérêt économique, le GIE PAPY.
« Nous sommes sur place tous les jours de 8h à 15h. Le cadre de travail ici est très agréable, le quartier est calme et nos employés femmes se sentent en sécurité ici », souligne le superviseur.
Plus loin, Assitan Diarra vide son panier d’ordures dans une poubelle. Et c’est un détail à souligner : un peu partout dans la Cité du Niger III, des poubelles publiques sont disposées le long des rues où s’entend par moment le chant des oiseaux. Belles villas à l’architecture moderne, immeubles d’habitation de standing, un ballet discret de belles voitures : calme et ordre règnent ici, des agents de sécurité filtrent entrées et sorties de la cité cossue où les façades verdoient de fleurs grimpantes. On y croise toutes les nationalités : Asiatiques ou Européens habitent à côté de représentations d’entreprises étrangères et d’ONG.
Assainir la Cité du Niger III
Parmi les habitants de ce carré d’or sis à Bamako, sur les bords du fleuve, il y a Mossadeck Bally. Prolifique homme d’affaires, actif dans plusieurs organisations de la société civile, le président directeur général du Groupe Azalaï Hotels vient d’être au surplus porté à la tête Conseil national du patronat malien (CNPM). Nous le rencontrons dans ses quartiers, au consulat de la Principauté de Monaco, contigu à l’hôtel Salam. Sous un éclairage or, reflété par les carreaux, un grand tableau domine le salon où se tient fièrement Mossadeck jeune à côté d’un homme âgé dont on comprend qu’il s’agit de son père. Au pied de son bureau, un chameau en bronze chevauché par un nomade enturbanné plante le décor, à côté d’autres objets rappelant la culture des hommes du désert.
Malgré un emploi du temps surchargé, M. Bally s’est rendu disponible pour nous parler de ce projet qui, visiblement, lui tient à cœur. Car il est le trésorier de l’Association mieux vivre ensemble à la Cité du Niger III. Cette association à but non lucratif a été créée par les riverains, il y a 3 ans. « Son objectif principal est d’assainir la Cité III. Avant, les gens jetaient des ordures partout dans la Cité. », indique Mossadeck Bally. Composée de 15 membres, présidée par Amadou Sow, promoteur de la Centrale énergétique Albatros, l’association reçoit les cotisations des propriétaires exclusivement, les locataires du lieu n’étant pas concernés. Avec 270 000 F CFA par trimestre, on peut faire face aux charges principales : la sécurité, assurée par une société de gardiennage, et le nettoyage de la Cité par le GIE de femmes. « Au départ, certains petits malins pensaient qu’elles devaient s’occuper des ordures ménagères aussi. On a bien notifié que chacun est responsable de ses déchets domestiques. », précise M. Bally, qui note aussi qu’en dehors de l’entretien courant, chaque année l’Association procède au désherbage après hivernage.
Réalisations de l’association
Mais l’association mobilise aussi des contributions exceptionnelles. La première a permis de refaire une artère principale très dégradée : 44 millions de F CFA. Puis, il a fallu refaire l’éclairage public (3 millions FCFA) et disposer d’une trentaine de poubelles dans la Cité III. Arriver à de tels résultats n’est pas toujours aisé. Nombreux sont les membres riverains qui ne contribuent pas, et les propriétaires de plusieurs maisons en location refusent de payer ne serait-ce que la cotisation.
« Ça n’a pas été facile, mais on se repose sur un noyau dur qui fait vivre l’association. Il s’agit de 4 personnes, toujours assidues aux réunions ». Si tout le monde payait, on pourrait faire encore bien plus, estime encore le trésorier.
Retournons à la Cité. Boubacar Yara, la quarantaine révolue, est gestionnaire d’un immeuble d’habitation à la Cité III. Teint noir, crâne rasé, il est sorti jeter un coup d’œil sur le travail des femmes. « La gestion communautaire ici est exemplaire et rare. Je ne sais pas s’il y en a ailleurs. Mais s’il y avait davantage de citoyens qui s’occupent de leur milieu de vie, Bamako serait certainement la plus coquette des capitales », assure-t-il. Est-ce une question de moyens financiers, vu le statut des riverains ? « Non ! C’est une question de personne… Prenez les Cité du Niger I et II dont l’environnement laisse à désirer, alors que les habitants y sont de la même trempe», soutient Boubacar Yara.
En attendant que les municipalités s’assument…
Les citoyens, de façon générale, n’ont pas encore l’habitude de se mettre ensemble pour assainir leur environnement. Membre de plusieurs organisations de la société civile, Mossadeck Bally juge que les gens sont pleins de volonté au début de toutes les initiatives, adhèrent aux idéaux, semblent désireux de mener le combat… Mais lorsque la partie financière intervient, les rangs deviennent clairsemés ! Alors, ici et là, il faut saluer les bonnes initiatives, telle celle il y a des années de l’ancienne ministre Aminata Dramane Traoré qui a tant fait pour son quartier.
C’est un constat généralisé : « Les conseils communaux ne font pas leur travail. Bamako est une capitale sale, une poubelle à ciel ouvert. C’est dramatique. En attendant que les mairies et les autres acteurs publics s’assument, il faut donc que les gens se donnent la main. », souligne Mossadeck Bally.
L’acuité de la crise sécuritaire fait encore qu’aujourd’hui l’Etat est absent, n’arrive pas à assurer les fonctions essentielles. On se concentre sur la partie sécuritaire, et tout le reste est délaissé, renchérit le chef d’entreprise. D’ailleurs, signale-t-il, les conseils municipaux ne sont plus légaux, leur mandat ayant été renouvelé plusieurs fois, puisque l’Etat n’arrive pas à organiser les élections. Face à quoi, il n’y a pas d’autre solution : les citoyens doivent se prendre en charge, s’ils ne veulent pas vivre dans un environnement complètement dégradé.
« Chaque quartier peut créer une association, ne serait-ce que pour nettoyer les rues, curer les caniveaux avant ou après la saison des pluies, enlever les ordures. Dans un quartier de 50 000 personnes, si chacun donne ne serait-ce que 10 FCFA par jour, cela fait déjà 500 000 F par jour, 15 millions par mois. Et ceci peut être une source de création d’emploi pour les jeunes du quartier. »
Rétablir la taxe d’habitation
Et puis, une évidence qui n’en est pas une apparemment : pour Mossadeck Bally, il faudrait commencer par rétablir la taxe d’habitation. Le Mali est l’un des rares pays au monde où on vit dans une maison sans payer de taxe… « Je ne paye aucune taxe pour la maison dans laquelle je vis, alors que je pourrais payer ma quote-part pour que mon quartier soit nettoyé ».
Il y a aussi la taxe sur le foncier non bâti. « Au Mali, un citoyen peut posséder 1000 ha, les laisser en friche et ne payer aucun impôt là-dessus. Ce terrain peut rester vierge pendant 1000 ans, cependant c’est un patrimoine qui prend de la valeur. A l’ACI aujourd’hui, il y a des terrains qui valent le milliard qui ne sont pas taxés. Dans la législation malienne, il n’y a pas de taxe sur le foncier non bâti. »
Conclusion : il faudrait revoir la fiscalité sur le foncier au Mali, pour que tout le monde paye en fonction de son revenu afin d’assainir nos villes. « Dans 20-30 ans, nous serons plus de 40 millions de Maliens, selon les projections il y aura plus de Maliens vivants en ville qu’en milieu rural. Il faudra une bonne politique d’assainissement et d’urbanisation de nos villes, ou alors bonjour les dégâts. »
Passage à la case communale… Interrogé, Adama Konaté, adjoint au maire de la Commune V chargé de l’assainissement, estime qu’il est louable que les citoyens s’investissent dans la gestion de la cité. « De plus en plus d’associations passent par nous pour réaliser des infrastructures d’ordre public et d’intérêt général. Quand elles entrent en contact avec nous, nous mettons nos services techniques à leur disposition », dit-il. Et Delphine Dougnon, adjointe au maire de la Commune VI d’ajouter : « Il faut reconnaître que les mairies sont désargentées et font face à plusieurs difficultés. Elles sont souvent incapables d’assurer le salaire des agents. » La décentralisation tant souhaitée peine à se mettre en place : l’Etat centralise tout et gère tout en laissant une très faible marge de manœuvre aux autorités communales.
Il y a les associations, et il y a les bonnes volontés individuelles. Il ne manque pas d’exemples d’initiatives sur fonds propre : le dallage d’une rue, l’aménagement de terrain de sport pour les jeunes du quartier, l’assainissement… Un cas emblématique est celui de Salia Traoré, un jeune industriel qui a vidé la décharge de la colline du savoir. Pour ce faire, il a mobilisé 100 de ces camions bennes pendant 1 mois, ce qui constitue une somme rondelette : 20 millions de F CFA par jour, juste pour le carburant.
Mais il n’est pas toujours besoin de grands moyens. Faire avec ce qui est à notre portée pourrait suffire, pourvu que chacun se sente concerné : cela est l’apprentissage de la citoyenneté.