#SiraKura : que faire de la charte de Kurukan Fuga ?
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#SiraKura : que faire de la charte de Kurukan Fuga ?

Dans le cadre de la refondation de l’État, les Assises nationales ont recommandé, entre autres, de « redéfinir les valeurs culturelles en fonction de la Charte de Kurukan Fuga ». Au-delà du débat que cette recommandation pourrait soulever dans une configuration nationale où les communautés ont des histoires parallèles, le document en question est aussi loin de récolter l’unanimité. Mais pour notre blogueur, ce sont les valeurs inspirantes contenues dans la Charte qui sont importantes.

Les Assises nationales de la refondation (ANR), tenues en décembre dernier, ont débouché sur de nombreuses recommandations à mettre en œuvre. Certaines d’entre elles ont porté sur l’intégration de « nos valeurs dans la révision des grandes politiques […] conformément à la Charte de Kurukan Fuga entre autres et d’autres pratiques traditionnelles de protection de l’environnement » et la redéfinition de « nos valeurs culturelles en fonction de la Charte de Kurukan Fuga ». Ce document est en permanence au cœur du débat sociopolitique, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité et suscite même souvent des crispations. Avec la mise en place récente d’une commission de rédaction de la nouvelle Constitution, il y a fort à parier que la Charte de Kurukan Fuga soit l’objet d’intenses débats.

Autovalorisation ethnique et culturelle

Aussi appelée la proclamation de l’acte fondamental du Mandé, la Charte de Kurukan Fuga aborde des thèmes comme la paix, l’égalité, la justice, la valorisation du travail, la solidarité, le devoir de protection du territoire, la lutte contre la faim, la citoyenneté. Selon le chercheur Éric Jolly, de l’Institut des mondes africains, la Charte de Kurukan Fuga est née en 1998 d’une rencontre à Kankan, dans l’Est de la Guinée, d’une rencontre entre Intermédia Consultants (Suisse), la Radio rurale de Guinée et le Centre d’études linguistiques et historiques par la tradition orale (CELHTO, Niger), sous l’égide de l’agence de la Francophonie.

Cette rencontre a regroupé neuf griots (8 guinéens et 1 sénégalais), des journalistes ou hommes de radio guinéens, maliens et burkinabè, ainsi qu’un magistrat et des universitaires ouest-africains classés dans la catégorie des personnes ressources. L’atelier de travail a permis de mettre bout à bout 44 lois (prises par Soundjata au cours d’une assemblée que ce dernier a tenue à Kurukan Fuga ) contenues dans un texte officiel rédigé par Siriman Kouyaté, magistrat guinéen.

Au Mali comme ailleurs, où des gens s’y réfèrent, cette Charte issue d’une construction à posteriori n’en demeure pas l’objet d’une grande défiance, particulièrement de la part d’universitaires et d’intellectuels– pas seulement occidentaux– qui en parlent comme d’une entreprise d’autovalorisation ethnique ou culturelle. Ces derniers, comme M. Jolly d’ailleurs, assimilent la Charte à un « manifeste politique » pour des communautés éprouvant le besoin de se reconstruire car étant dans le creux de l’histoire. Pour les tenants de cette thèse, la Charte de Kurukan Fuga apparait comme une des modalités des « usages politiques du passé » encouragés par une certaine élite intellectuelle.

Principes de la vie en commun

Pourtant, comme évoqué au début, la Charte suscite un débat au sein des communautés elles-mêmes au Mali. Comme ce fut le cas en 2017, sous le président Ibrahim Boubacar Keïta, lorsque le gouvernement avait décidé d’en faire le préambule de la Constitution malienne, selon l’avant-projet de loi soumis à l’époque à l’Assemblée nationale. Des élus, notamment certains du nord du pays, avaient estimé que leurs terroirs n’étaient pas concernés par le document, qui s’est ainsi retrouvé au cœur même des crispations socio-culturelles : le nord et le centre n’ont pas envie d’être « bouffés à la sauce mandingue », pour reprendre l’expression d’un estimé ami écrivain.

Malgré les mises en garde contre un « texte neotraditionnel » ou participant d’un processus de retraditionnalisation, comme nous l’avons vu sous le président Alpha Oumar Konaré, ce serait une erreur que de continuer à porter la Charte de Kurukan Fuga en dérision. Elle devrait servir de base pour chercher les valeurs autour desquelles le Mali est uni. En termes d’importance, il s’agit, à mon avis, moins de ce qui est écrit dans la Charte de Kurukan Fuga que des valeurs qu’elles véhiculent : notamment les principe de la vie en commun, ses vertus politiques, civiques et pédagogiques.

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