Le tô est un plat traditionnel que l’on retrouve au Mali et dans plusieurs autres pays en Afrique de l’Ouest. Préparé à base de farine de maïs, de mil, de riz ou de sorgho, le plus souvent accompagné de sauce gombo ou de feuilles de baobab, ce plat tant prisé jadis peine à séduire les goûts culinaires de la jeune génération.
Partager en groupe un même plat dans la famille, voilà une habitude sacrée chez les Maliens : une occasion pour raffermir les liens familiaux. A Bamako, dans de nombreuses familles, quand le tô est le plat du jour, les jeunes s’arrangent pour se restaurer dehors avant de revenir à la maison. Seuls les adultes et les vieux, qui ont grandi dans les zones rurales en délectant ce plat pratiquement au quotidien, en ressentent la nostalgie et le savourent lorsqu’il est servi.
« Génération capricieuse »
Jugé archaïque, sans saveur ou non consistant, des jeunes utilisent tous les qualificatifs pour ne pas mettre la main dans une tasse de tô. Il n’est pas rare de voir des adultes se plaindre des enfants qui refusent de manger du tô quand il est préparé à la maison. « Génération capricieuse », se plaignent-ils !
Bamako, comme toutes les autres capitales, est une ville carrefour où se retrouvent des ressortissants de toutes les localités du pays. Les grandes villes déculturent, comme nous l’enseignent des anciens. De nombreuses familles, longtemps installées dans les grandes villes, viennent à perdre leurs habitudes culturelles ou sociales d’origine. Les enfants, issus d’un grand nombre de ces familles, sont éduqués autrement, grandissent autrement avec de nouvelles réalités imprimées dans leur environnement de vie.
Le tô est un plat local cuisiné au quotidien et consommé à travers les générations, particulièrement chez les communautés dogon, bwa, bambara, minianka ou senoufo,. Jeunes, adultes et vieux en raffolent. A Bamako, des enfants ne l’aiment pas trop. Sadio, étudiante de 23 ans, dit ne pas aimer le tô : « Quand toute petite j’en consommais, aussitôt je vomissais. Peut-être suis-je allergique ? Quand les autres membres de la famille en mangeaient, ma maman s’arrangeait à préparer un plat spécial pour moi. A défaut, elle me donnait de l’argent.»
Autres temps, autres mœurs !
Les réalités changent. Ce qui était une préférence dans un temps peut bien dégoûter dans un autre. C’est peut-être l’histoire du tô actuellement. « Le tô ne me rassasie pas. Chaque fois que j’en mange, j’ai faim après. Cela ne m’arrange pas », affirme Seydou Coulibaly. Salimata Diarra, la quarantaine, trouve que le tô n’est pas souvent bien préparé actuellement, solide et résistant, accompagné d’une délicieuse sauce : « Quand on en mange, effectivement, on a l’impression d’avoir bu de l’eau. »
D’autres jeunes, à l’exemple d’Issiaka Dolo, n’ont de goût que pour le tô. Célibataire et en exode à Bamako, il avoue ne pas pouvoir faire une semaine sans manger au moins deux fois le tô. Pour cette raison, il est devenu un client fidèle chez cette restauratrice de son quartier de résidence à Kalaban-coro, qui offre le tô dans son menu. Oumou Coulibaly, près de la soixantaine, se fait préparer du tô spécialement par ses belles filles. Les autres membres de sa famille peuvent faire des mois sans en préparer : « Ces vilaines filles ne savent pas apprécier les bonnes choses », provoque-t-elle ainsi ses petites filles. « Le tô et moi, ça fait deux et en plus c’est un mets dépassé. Je ne l’aimerais jamais, ça ne me procure aucun goût », lui répond sa petite fille Assétou.
Saran Berthé, près de la trentaine, quant à elle, dira qu’elle n’aimait pas le tô, mais à force d’être préparé à la maison, elle a fini par l’aimer : « Je n’avais d’autre choix que d’en manger si je ne voulais pas mourir de faim. J’ai fini par l’adorer et je le cuisine dans mon foyer maintenant. Mon mari l’adore mais pas mes enfants », révèle-t-elle à pleins rires.
Les jeunes et les anciens ne se comprennent jamais. Encore plus autour d’un plat de tô. Qui a tort et qui a raison ? Mangez-en pour le savoir ! Ne dit-on pas, par ailleurs, que les goûts et les couleurs ne se discutent pas ?
J’aime le tô quand c’est bien preparé