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Désinformation : au Sahel, une menace aux multiples visages
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De la manipulation des récits sur la souveraineté aux rumeurs sur la santé, la désinformation imprègne tous les aspects de la vie sociale au Sahel, exacerbée par l’analphabétisme et la fracture numérique.

Au Sahel, la désinformation prend des formes multiples, souvent liées au contexte politique et sécuritaire. Mohamed Gago, journaliste nigérien, souligne l’impact des récits importés : « Les fausses informations qui circulent au Niger sont souvent véhiculées par des gens hors du pays. Par exemple, des rumeurs sur des milliards de francs CFA retrouvés chez d’anciens dignitaires ou sur l’interdiction d’exporter des céréales vers [les pays de] la Cedeao ont inondé WhatsApp. » Ces narratifs, souvent orchestrés, exploitent les thèmes de la souveraineté et des relations internationales.

Au Mali, Abdoulaye Diarra, spécialisé dans la vérification des faits, pointe les fausses informations ciblant les autorités publiques et la sécurité : « Les infox tournent beaucoup autour des autorités et de la lutte contre le terrorisme. Des remèdes miracles envahissent Facebook, prétendant guérir la drépanocytose ou le diabète, nuisibles aux efforts de santé publique. » Au Burkina Faso, Alex Paré, spécialiste, observe une polarisation autour de la sécurité et de l’anti-impérialisme : « Les rumeurs sur des complots de déstabilisation, comme celle des motos saisies à la frontière ivoirienne sont amplifiées pour accuser des pays voisins de soutenir le terrorisme. »

Thématiques sensibles

Les thématiques les plus touchées par la désinformation reflètent les préoccupations majeures des populations sahéliennes. Au Niger, Mohamed Gago note « la souveraineté, la politique et la santé sont les plus visées. On parle d’usines d’armement fictives ou de prétendues épidémies comme la variole du singe. » Au Mali, Abdoulaye Diarra insiste sur la santé publique : « Les fausses informations sur des remèdes traditionnels sapent les campagnes de sensibilisation sanitaire. »

Les réseaux sociaux, notamment WhatsApp, TikTok et Facebook, dominent la désinformation. Mohamed Gago explique : « Au Niger, ce sont les principaux vecteurs, mais le bouche-à-oreille reste puissant, dans les zones rurales. » Abdoulaye Diarra confirme cette tendance au Mali : « TikTok est en tête, suivi de Facebook et YouTube. WhatsApp est aussi utilisé, mais il est difficile à quantifier. » Alex Paré, lui, nuance : « Il y a un flux entre Facebook, Telegram et WhatsApp. Les contenus sensibles, comme les théories du complot, migrent vers des groupes privés pour échapper à la censure. »

L’analphabétisme et la fracture numérique aggravent cette dynamique. « Les analphabètes sont des cibles faciles, car faiblement outillés face aux informations en ligne », déplore Abdoulaye Diarra. Mohamed Gago abonde : « Au Niger, beaucoup considèrent les réseaux sociaux comme des sources fiables, ce qui facilite la manipulation. »

Entre influenceurs et ingérences étrangères

Les relais de la désinformation sont variés. Au Niger, Mohamed Gago identifie « des acteurs étrangers, des influenceurs, des soutiens politiques et des groupes armés créés après le coup d’État de juillet 2023 ». Il évoque des campagnes coordonnées visant à glorifier l’Alliance des États du Sahel ou à dénigrer la Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Au Mali, Abdoulaye Diarra pointe « des web-activistes soutenus par des réseaux russes, français ou chinois, mais aussi par les autorités locales. L’opacité du financement rend leur identification complexe. » Alex Paré met en lumière une nouvelle dynamique : « Des entrepreneurs numériques anglophones basés au Nigeria et au Ghana exploitent des sujets anti-impérialistes pour générer des clics. Ils diffusent des récits fictifs, comme des cités modernes attribuées au Burkina Faso. »

Face à ce fléau, des initiatives émergent, mais elles se heurtent à des obstacles. Au Niger, Gago note que « l’État a renforcé le cadre juridique contre la cybercriminalité, mais il mise trop sur la répression qui attire paradoxalement plus d’abonnés aux relais de désinformation. Les ONG, comme l’ANWEB, traduisent des contenus éducatifs en langues locales, mais manquent de moyens. »

Diarra, lui, insiste sur l’éducation aux médias : « Il faut multiplier les formations dans l’éducation pour développer l’esprit critique, même chez les professeurs qui partagent parfois des infox. » Pour sa part, Paré évoque les limites d’un contexte autoritaire : « Fasocheck doit faire preuve de diplomatie pour éviter la censure. L’État lui-même produit parfois de la désinformation qualifiée de communication stratégique. »

Vers des solutions durables

Pour endiguer la désinformation, les trois experts appellent à des approches multisectorielles. Gago recommande de « renforcer les capacités des associations et de poursuivre la sensibilisation dans les langues locales. » Abdoulaye Diarra insiste sur l’éducation : « Il faut enseigner dès l’école comment vérifier une information avant de la partager. » Paré va plus loin : « La lutte contre la désinformation doit devenir une politique nationale, intégrée aux curricula scolaires. À l’échelle régionale, l’Union africaine et la Cedeao devraient négocier avec les plateformes numériques pour mieux modérer les contenus, comme l’UE avec le Digital Service Act. »

La désinformation au Sahel est un fléau qui exploite les failles sociales, numériques et éducatives. En combinant sensibilisation, éducation aux médias et régulation des plateformes, les pays du Sahel pourraient mieux armer leurs populations contre ce phénomène. Paré conclut : « C’est une question de santé publique. Sans une action concertée, la désinformation continuera de diviser et de fragiliser nos sociétés. »

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