Dans les cercles de Goundam et de Gourma-Rharous, des irrégularités ont entaché le scrutin législatif et perturbé un exercice démocratique pourtant essentiel, selon des sources locales. Des électeurs dénoncent avoir été privés de leurs voix.
Le second tour du scrutin législatif a eu lieu le 19 avril 2020, malgré le contexte sécuritaire dégradé au centre et au nord du Mali et l’irruption de la pandémie de coronavirus. Dans la région de Tombouctou, les électeurs ont été nombreux à se plaindre d’irrégularités. Des allégations d’électeurs locaux pointent du doigt des complicités de fraudes des responsables exécutifs régionaux et des acteurs communautaires.
Dans les communes d’Adiora, Bambara-Maoudé, et Inadiatafane (cercle de Gourma-Rharous), des correspondants nous expliquent leurs frustrations : « L’insécurité qu’on cite tout le temps, c’est pour annuler nos votes chez nous, dans nos propres villages. On nous dit que les citoyens n’ont pas pu accéder aux sites de vote. Ça veut dire que nos voix sont volées ? ».
Ces voix auraient-elles fait une différence dans l’arrivée en tête des candidats à la victoire incertaine entre les deux tours ? D’autres ont le sentiment qu’ils ont perdu du temps précieux et productif, car les fraudes signifient que leur quotidien ne sera jamais entendu au « Sud », au siège d’un État auquel ils croient de moins en moins.
Un phénomène loin d’être isolé
À Gossi, à la vielle des élections, du matériel électoral destiné à la commune et ses environs a été brulé en cours d’acheminement par des individus armés jusqu’à présent introuvables. Un enregistrement audio, devenu viral, sème le trouble. Dans cet enregistrement partagé à travers les réseaux sociaux, un homme donne des indications quant à la subtilisation d’urnes électorales. On l’entend dire en langue sonrhaï : « Allez ! Emportez ces boites ». Il s’agirait d’un homme politique ayant conçu une stratégie visant à empêcher le vote dans les localités où les tendances semblaient très favorables à un de ses alliés politiques confronté à un rival ayant été à la tête du décompte au premier tour du scrutin. Il n’y a eu, pour l’instant, ni confirmation ni démenti par l’intéressé.
Un berger de la commune de Rharous, pourtant peu familier du système électoral, nous confie : « Ils ont volé tous nos droits. Je les ai vu bourrer les urnes ». Là, même dans le chef-lieu de cercle, des irrégularités ont ainsi été observées.
Dans le cercle de Goundam, le même scenario est rapporté à Tonka. Des bandits armés ont attaqué, brûlant et saccageant les bureaux, et emportant des caisses. Ceci a eu lieu dans un contexte de transhumance politique de notables et leaders locaux, d’un parti à l’autre. Entre les deux tours des élections, les équilibres locaux et les jeux d’intérêts auraient donc changé selon les marchés conclus avec les différents entrepreneurs politiques.
Des citoyens muselés
Des citoyens sont restés sans succès toute la journée, attendant la venue des assesseurs, pour exprimer leur droit de vote. Souvent, l’ensemble des directoires de campagne, des candidats ainsi que des chefs coutumiers se sont déplacés pour rien, après avoir pourtant prévenu leur administration locale de leur intention de voter. « Je ne sais pas pourquoi les gens votent, si c’est pour élire quelqu’un illégalement », nous dit un nomade de la zone.
Ainsi, des chefs de fractions à Benguel, Tirnkissoum, Tibi, Emi-Krouss, Fountrou, Annawakiten, Timelelene, ou encore Djiri Alambo ont demandé l’annulation pure et simple du scrutin. Certains ont signé une demande d’annulation des suffrages indument exprimés, arguant que les votes ont été frauduleusement obtenus dans leurs bureaux. « Je ne sais pas pourquoi on continue à faire des élections. », nous explique un résident local.
Quid des doléances locales ?
De nombreux candidats, présentés par opportunisme, sachant qu’ils ne jouissent pas de liens solides ni de popularité auprès des électeurs, voient comme seule option de victoire un rapprochement avec des mouvements politiques suffisamment puissants pour réussir des tactiques d’intimidation et d’achat des votes. Une fois élus, avec quelle légitimité peuvent-ils donc représenter des citoyens aux doléances multiples et légitimes face à l’appareil d’État ?
Les citoyens sont accueillis avec de la viande, du fromage et du lait. En contrepartie, il faut voter pour les pourvoyeurs. Certains chefs de fraction, toutes communautés confondues, auraient ainsi mis à disposition des populations des cartes d’électeurs, avec l’injonction de voter pour des candidats dont ils ont « bénéficié ».
Donner pour ne jamais recevoir ?
Les citoyens de ces zones déshéritées dont les maigres moyens vont tout de même à l’État n’auront-elles donc jamais la possibilité de voir leurs contributions au trésor et leur loyauté leur retourner justement ? « Aller voter est devenu une perte de temps, parce que nos investissements ne nous reviennent pas. », nous confie tristement un vieux berger.
Au final, ces témoignages indiquent un certain manque de confiance en l’appareil étatique, empêchant la participation aux scrutins, et la contribution à la démocratie et au fonctionnement égalitaire et représentatif des populations les plus reculées. Il est à craindre que ces allégations, si elles sont fondées, signifient que l’hémicycle ainsi constitué ne soit en porte-à-faux avec les aspirations réelles des électeurs, étant alors une défaite du processus électoral, en même temps que des actes criminels signifiant la normalisation de l’injustice.