Tribune : « Un président de transition civil serait le scenario idéal pour le Mali »
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Tribune : « Un président de transition civil serait le scenario idéal pour le Mali »

Le coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keita traduit l’échec de la classe politique à faire fonctionner les institutions et à répondre aux nombreuses aspirations du peuple. Cette rupture pourrait être le point de départ d’une nouvelle page dans l’histoire du Mali en confiant la présidence de la transition à un civil.

La démission du désormais ex-président Ibrahim Boubacar Keita, à la suite d’un coup de force militaire, traduit avant tout l’échec de la classe politique malienne. Elle illustre l’incapacité de la classe politique à construire et à faire fonctionner des institutions démocratiques saines et solides au service du peuple, répondant à ses aspirations de bien-être, de justice et de sécurité.

Cet échec est donc celui des organisations politiques et de la société civile incapables de trouver une issue à une crise sociopolitique, sans recours à la violence et à l’intervention des forces armées, ce, après des mois de vives tensions et des tractations. Qui plus est, c’est également une preuve palpable de leur incapacité à surmonter leurs propres luttes de positionnement.

Alors, que le CNSP (Comité national pour le salut du peuple) le comprenne et ne se trompe pas : ce coup est le sien. Il doit l’assumer jusqu’au bout, car de la qualité de sa gestion dépendra l’avenir du pays.

Priorités locales

La communauté internationale ne doit jamais oublier qu’elle n’est pas moins coupable de l’échec du pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta. Sa forte implication via des agendas au-delà des capacités de l’État convalescent du Mali ont rendu la tâche difficile pour le pouvoir d’ « IBK ». En effet, ses attentes sinon ses exigences vis-à-vis des autorités ont transformé ce qui aurait pu être un agenda pour le Mali en un agenda global dans lequel plusieurs acteurs poursuivaient des objectifs et des priorités autres que ceux que le Mali se serait fixé lui-même pour son redressement.

Puisqu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, elle doit se résoudre à la réalité qui prouve à suffisance que le Mali, comme plusieurs autres pays du Sahel et du monde, ont des réalités et des priorités locales sans la considération et la satisfaction desquelles aucune des politiques internationales de gouvernance ne sauraient réussir. Et tirer les leçons de cet échec commun et accorder au Mali et au peuple malien le temps et l’espace nécessaires, en toute souveraineté, afin de penser et de décider de la direction qu’il veut donner au pays. Pour que le Mali réussisse à faire de cette nouvelle page de son histoire un vrai point de départ, la communauté internationale doit accompagner les acteurs locaux et non les diriger.

Tirer les leçons

Le besoin de la reconnaissance de la communauté internationale et de sa solidarité, plus que nécessaires, ne doit pas prévaloir sur la nécessité de prendre les décisions qu’impose la situation du pays, à savoir la réforme des institutions et la refondation de l’État. Pour mener à bien cette tâche, les jeunes officiers du CNSP doivent éviter de se précipiter dans la « gueule » des politiques et des gourous de la société civile. Le CNSP doit plutôt se renforcer de l’appui des technocrates. Le pays en dispose à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils sauront les aider à conduire la transition à bon port.

Une transition conduite par un civil serait le scénario idéal pour le Mali et en phase avec les recommandations des partenaires internationaux. Cependant, je suis au regret de le dire, la réalité malienne exige de faire preuve de réalisme et d’aller au-delà des saupoudrages dans l’intention unique de plaire aux institutions de Bretton Woods et à leurs promoteurs. Rappelons-nous qu’il y a 7 ans, le pays était cité par ces institutions comme un des meilleurs exemples de réussite de leurs projets de démocratisation et de bonne gouvernance en Afrique subsaharienne. Au même moment, les institutions dont il était question s’effondraient de l’intérieur.

C’est pourquoi, la communauté internationale doit savoir tirer les leçons de ses erreurs d’appréciation sur le Mali et le Sahel, et surtout avoir le courage de se les approprier. Au lieu de consacrer ce temps à récriminer le mauvais élève malien, elle doit le consacrer à revoir ses analyses et les ajuster aux conclusions que les Maliens tireront de leurs concertations dans lesquelles ils doivent s’engager immédiatement. Aux Maliens, elle doit permettre le temps et l’espace dont ils ont besoin en ce moment pour voir clair dans leur présent et dans leur avenir sans les encombrer des agendas de la géopolitique mondiale.

(Re)négocier la paix

Les révolutions échouent, parce qu’elles ne sont pas achevées. Elles ne sont pas achevées, parce qu’elles sont confisquées aussitôt qu’elles viennent à bout du premier obstacle : le premier symbole du système que représente le président de la République. Les maux des nations ne sont pas propres à un individu. Leurs racines se trouvent dans un système structurel, qui a généralement eu tout le temps de s’implanter, de se ramifier afin de résister à l’épreuve du temps et des changements sociopolitiques. Pour qu’elles réussissent, les révolutions se font sur la durée.

Le cas du Burkina Faso est assez illustratif. Nul besoin de rappeler, à qui connait la situation actuelle de ce pays du Sahel, les aspirations du Balai citoyen, mouvement à l’origine de la contestation qui avait chassé Blaise Compaoré. Que le CNSP ne permette donc pas que cette révolution malienne s’arrête en cours de chemin après tant de sacrifices consentis par les militaires et la population. Le pays est en guerre. Les militaires connaissent mieux les défis sécuritaires et sociopolitiques. Ils seraient plus aptes à les relever et à (re)négocier la paix. Le CNSP doit donc présider la transition et travailler en concertation avec les politiques et la société civile pour la réussite des commissions, des réformes à mettre en place.


  • Cherif Ag Mohamed Ibrahim est diplômé en résolution des conflits et sécurité humaine de l’université du Massachussetts (UMASS), à Boston (États-Unis).
  • Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas forcément celles de Benbere.

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