Ismaïla Samba Traoré est chercheur, écrivain et directeur des éditions La Sahélienne. Pour Benbere, il s’exprime sur la question de l’esclavage par ascendance dans notre société qui, selon lui, était « esclavagiste ». Un sujet qu’il a abordé dans son roman Les amants de l’esclaverie (Le cavalier bleu, 2004).
D’où vous est venue l’idée d’écrire le roman Les amants de l’esclaverie ?
Ce roman est issu d’un processus de recherche. Parti pour enquêter sur le « tonomada » dans le Bélédougou et dans d’autres zones, j’ai été amené à m’interroger sur d’autres questions connexes comme le statut des uns et des autres. En travaillant sur le Bélédougou, en migrant vers l’office du Niger et dans d’autres zones exondées de l’office, on tombe souvent sur des territoires historiques très structurés où des « Fanga » se sont développés à la périphérie de l’État central de Ségou ou sur les limites explorables des guerriers de l’État du Macina. J’ai été confronté à la problématique du statut dans la société, entre des gens que l’on dit avoir été « amenés ici »— parce que « Tonomada » veut dire « confier sur gage »—, et d’autres qui sont ostracisés ou qui sont définis dans la communauté comme étant des « jons » (« captifs »). Un chercheur traite ses matériaux, il publie un article ou fait autre chose. Il se trouve que, outre ma pratique de chercheur, je suis un romancier. La meilleure façon de porter ces informations était de brasser tout ça et de le décrire dans un roman. D’ autant que j’étais fortement attiré par le roman historique. Cet intérêt pour l’histoire devait forcement me conduire, en tant que romancier, à faire un roman qui a été considéré par les critiques comme étant aux « frontières de l’histoire et du mythe ».
Venons-en à l’esclavage par ascendance au Mali. Comment perd-on le statut historiquement ?
J’ai toujours évité soigneusement de parler d’esclavage, mais ça revient forcement parce que c’est le raccourci en langue française pour en parler. Je parle de « jon », de « jonnya ». Le « jon », dans les sociétés sahéliennes que je connais, le Sahel occidental malien en particulier, c’est quelqu’un qui a perdu son statut d’homme libre. Libre de travailler pour soi, de vivre, d’être avec sa descendance dans un statut honorable. Le statut s’acquiert ou se perd selon qu’il s’agisse de guerre où le vaincu n’avait de statut autre que de devenir le dépendant du vainqueur. Souvent, c’est tout simplement par achat, par acquisition. Parce qu’il ne faut pas oublier que notre société était fondamentalement esclavagiste dans la mesure où de nombreuses personnes se livraient au commerce du « jonya ». Nous avons l’histoire du petit N’golo Diarra de Ségou, qu’on a enlevé à son père parce que ce dernier ne pouvait pas payer l’impôt au roi de Ségou.
Pourquoi n’arrive-t-on pas encore à liquider les fondements idéologiques et sociaux de l’esclavage par ascendance ?
Nous constatons qu’aujourd’hui encore, il y a des gens qui n’ont pas réussi à s’extraire du statut. Lorsque les gens migrent et viennent s’installer en ville, ou bien créent des communautés rurales ou urbaines ailleurs, la mémoire de leur statut premier se perd. Or, ce que nous constatons aujourd’hui dans la région de Kayes, c’est qu’il y a des villages dont certains ont été installés à la limite de la fin de la guerre sainte d’Elhadj Oumar et de l’installation du pouvoir colonial. D’importantes communautés, qui avaient été infériorisées, vaincues et mises sous domination avec statut de captif, ont été souvent libérées par la force coloniale qui venait de vaincre les troupes d’Ahmadou Sékou Tall et réinstallées dans ce que l’on a appelé des « villages de liberté ». Les gens n’en parlent pas beaucoup, mais des chercheurs comme Majhmoud Diop dans Classes sociales en Afrique de l’Ouest , ont bien décrit ce processus. Il a même cartographié les villages concernés. Dans certaines régions que je ne nommerais pas, il y a beaucoup de villages qui sont en fait des « villages de liberté », mais les communautés périphériques au sein desquelles ils sont installés les ont toujours considérées comme des « jons ».
Le XIXe siècle a été caractérisé par beaucoup de bouleversements dans notre société malienne. Les historiens maliens ne travaillent pas beaucoup sur le XXIe siècle parce qu’il est fait de beaucoup de contradictions. Il s’agit d’une mémoire « incandescente », comme dirait l’historien Doulaye Konaté. Les Maliens eux-mêmes ont la pudeur de s’interroger sur un certain nombre de choses dont ils ne sont pas fiers. Le fait que l’histoire du XXIe siècle ne soit tellement étudiée, transmise et évoquée par l’école et les chercheurs est le signe que c’est une période très délicate à manipuler. Aussi, il faut se rendre compte que la nature même du citoyen malien ou du chercheur malien consiste à éviter tout ce qui peut froisser.
Que faut-il faire pour éradiquer l’esclavage par ascendance ?
Il arrive souvent que le temps, en tant que donnée de l’histoire, fasse son œuvre et que certaines choses soient effacées ou progressivement oubliées. Justement, malgré que le temps soit passé, les communautés n’ont pas forcement évacué certaines choses. Lorsque vous considérez le tissu social actuel, vous vous rendrez compte que les gens aiment bien se valoriser par rapport à quelque chose : « Mon père fut ou bien ma mère descend de …je suis de telle lignée ». Les gens se tapent la poitrine pour dire je suis un « horon ». Or, ces mêmes personnes ne savent pas que les statuts ont beaucoup bougé dans le temps et dans l’espace. Les statuts ont souvent bougé à la faveur de la guerre, la migration ou les moyens économiques que les gens se donnent. Aujourd’hui si vous parlez de pratiques qui sont constatées et condamnables, dans la région de Kayes en particulier, il faut savoir que ces considérations sont ancrées dans la tête, le cœur, la culture et dans l’organisation sociale des communautés. Au baptême, on verra venir un tel pour faire la cuisine ou telle autre chose parce qu’il y a un statut. Quelque part, il faut absolument que l’éducation de la communauté se renouvelle. J’entends par éducation, le conte, l’enseignement de la légende, l’histoire des familles tout ce qui est transmission par les agents sociaux traditionnels. Il faut que cette éducation se renouvelle et que les données et instruments nouveaux apportés par les médias puissent nous aider à sortir quelque chose de matériel : des outils qui puissent permettre aux gens de regarder le monde autrement qu’à partir de nombrilisme absolument réducteur. Le cas flagrant que nous avons sous les yeux dans la région de Kayes mérite que des lois soient prises tout simplement, que le magistrat de la circonscription puisse se référer à une loi. Et il y va de l’honorabilité du système politique actuel qui a laissé pourrir une situation qui aurait pu se résoudre en l’espace de deux mois.
Très bien parle
Intéressant. Il faut une sorte de big bang pour refonder la société malienne. L’omerta sur certains faits culturels étant la règle, il faut ce cataclysme pour une reconstruction
Bien parlé nous subissons de ces hommes sans fois qui emprisonnes les innocents disant ce laada……vraiment on veut que le monde sache ce qui se passe chez nous au mali précisément à kayes
J’ai moi même rencontré un réfugié du Mali en France , qui m’a dit être victime de discrimination et de violence car considéré esclave par la caste des nobles. Ce sujet devrait être plus connu pour être combattu