#RespectonsSDSR : les défis de l’éducation sexuelle à l’ère des réseaux sociaux
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#RespectonsSDSR : les défis de l’éducation sexuelle à l’ère des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux, devenus le terrain de prédilection des jeunes et ados, sont aussi des espaces pour leur éducation. La mauvaise information y est courante, mais c’est sur ce même terrain que les spécialistes développent des stratégies pour mieux informer sur la santé de la reproduction.

Il est 16h au pied de Koulouba. En cet après-midi de samedi, des jeunes et adolescents sont de sortie et l’endroit grouille de monde. Tous sont sur leur 31. Certains assis sur des bancs, d’autres en station debout, et toujours plus de filles et garçons convergent vers le lieu.

Sous un hangar un peu isolé, un groupe de cinq adolescents, têtes baissées, sont concentrés sur leurs téléphones portables. « Je vous ai envoyé. Vous pouvez le regarder aussi », lance Ahmed, un collégien de 16 ans. Teint ébène, casquette Wati B à l’envers, chemise rouge à carreaux sur un tee-shirt blanc, portant une paire d’Air Jordan, l’adolescent vient de partager avec ses camarades une vidéo sur l’avortement qui circule sur TikTok. Une voix féminine y explique comment, à l’aide d’une potion à base de Coca-Cola et d’autres produits, une fille peut « couler » une grossesse non désirée.

« Je suis sceptique concernant ce qui est dit dans cette vidéo. Ça pourrait être dangereux de le faire sans l’aval d’un médecin », commente Awa, élève en classe de 9 année. « Tu connais un médecin dans ce pays qui te dira comment avorter sans informer tes parents et sans risquer d’aller en prison ?», rétorque Mah, son amie.

« Notre éducation sexuelle, c’est en ligne ! »

A des dizaines de kilomètres de Koulouba, dans un grin à Kabala, un groupe de jeunes est confortablement assis devant un salon de coiffure. Ici, tous sont unanimes : « Notre éducation sexuelle, c’est en ligne ! »  « En réalité, il n’y a aucun filtre sur les réseaux sociaux. Ce qui fait qu’on prend pour de l’argent comptant tout ce qu’on y trouve surtout pour un enfant », explique Sibiri.

Katié Koné, mère célibataire de 28 ans, nuance : « J’ai eu mon garçon à 19 ans. Avant ça, toute mon éducation sexuelle s’est faite sur les réseaux sociaux et sur internet. Mais c’est aussi en ligne que j’ai appris qu’on ne devait pas prendre à volonté les pilules du lendemain. J’en consommais comme des bonbons ! », relate la jeune femme.

Pour la plupart des jeunes interviewés, l’éducation sexuelle consiste à visionner des vidéos pornographiques. Mohamed Diakité, 20 ans, fils d’un ingénieur informaticien, confie avoir consulté il y a quelques années des sites pour adultes sur un ordinateur de la maison. Mais il ne savait pas que sa mère consultait l’historique de navigation sur internet, tous les soirs, avant de se coucher. « Une réunion de famille a été convoquée. J’ai aussi eu droit à un tête-à-tête très gênant avec mon père et ma mère », se rappelle-t-il. Afin de contourner la surveillance de ses parents, Mohamed s’est rabattu sur les cybercafés pour assouvir sa curiosité.

Moriké Dembélé est enseignant-chercheur au département de sciences de l’éducation à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. Teint noir, cheveux grisonnants, taille moyenne, ce chef de famille surveille tout ce que ses enfants regardent sur le net. Même absent de la maison. « Je continue de le faire. Mon objectif est de contrôler ce qu’ils consomment pour éviter les déviations. Je sais qui télécharge quoi, qui consulte quelle page en temps réel, que je sois à Dakar, en Belgique ou même dans mon bureau », témoigne-t-il.

Pour Sané Demba N’Diaye, spécialiste en santé de la reproduction, les réseaux sociaux occupent une place prépondérante dans l’éducation à la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes, voire des adultes. Grâce aux réseaux sociaux, il est beaucoup plus facile de faire l’état des lieux ou de trouver les indicateurs par rapport aux messages véhiculés sur les plateformes en ligne. « Certains messages sont souvent mal interprétés, vu que les échanges ne se font pas en présentiel. Il est donc difficile d’avoir l’impact recherché par rapport aux changements de comportement », déplore le spécialiste.

Développer des contenus digitaux de qualité

Nous avons rencontré Jonas Kindafodji, en marge d’une conférence (*) sur la santé la reproduction. Assis dans le hall d’un hôtel de la place, Kindafodji passe quelques coups de fil. A travers la baie vitrée, on voit un groupe d’enfants jouer dans la piscine sous la surveillance de leur père.

Pour ce consultant en santé et droits sexuels et reproductifs, beaucoup de fausses informations circulent sur les réseaux sociaux, induisant en erreur les adolescents et jeunes. « Nous développons des contenus avec des spécialistes en santé de la reproduction, des questions qui sont des priorités pour les jeunes en Afrique de l’Ouest », affirme-t-il. Les pilules du lendemain, les méthodes de contraception, l’accès aux services de santé de reproduction des adolescents et des jeunes sont quelques thèmes évoqués. Pour lui, les jeunes ont un grand engouement pour l’éducation sexuelle. « Ils sont très présents sur les réseaux sociaux et veulent s’y informer. Malheureusement, il y a un véritable déficit en matière d’informations crédibles », regrette le consultant.

La dernière campagne digitale lancée sur Facebook et TikTok, par son organisation, a touché 30 744 adolescents et jeunes. Les publications ont suscité beaucoup d’intérêt, poussant des jeunes à poser des questions via les messageries. Dans le souci de fédérer les efforts et converger vers une plateforme de discussion, un groupe WhatsApp dénommé Communauté Jeune SDSR a été mis en place. Il est composé aujourd’hui de 282 participants du Mali, du Togo, du Benin, du Niger, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Kenya, des Etats-Unis et de France. « Ce sont des jeunes qui ont vu nos vidéos et ont souhaité avoir plus d’informations en se connectant à nos pages pour être au courant de nos initiatives », explique Kindafodji.

Contrer les fausses informations

Jointe par téléphone, Merveille Akouta, biologiste et consultante en santé, droits sexuels et reproductifs déclare que les réseaux sociaux sont un outil adéquat pour propager la bonne information s’ils sont utilisés à bon escient. Cependant, elle note que le parent est le seul qui peut mettre l’enfant à l’aise sur les questions de sexualité. « La barrière sociale entre les parents et les enfants, au regard de nos cultures et nos normes sociales, ne permet pas de faire de la sexualité un sujet libre. Les parents doivent briser la glace » soutient-elle.  

Mais il y a des freins au bon usage des réseaux sociaux : connexion internet de mauvaise qualité, cherté du Pass Internet dans les pays en développement sont, selon Jonas Kindafodji, certains défis auxquels l’éducation sexuelle, pour être massive, fait face. Mais il y a aussi un cruel manque de ressources financières pour créer des contenus vidéo, de moyens logistiques pour aller vers les spécialistes et pour assurer une présence constante auprès des internautes, permettant de répondre à toutes les questions.

Pour Merveille Akouta, il y a un vrai danger à laisser prospérer les fake news. Elle insiste quant à la nécessité de fabriquer plus de contenus avec des sources crédibles. Comme pistes d’amélioration de l’information, elle suggère de recourir aux influenceurs : « Il faudrait aussi former ces influenceurs suivis par des milliers d’abonnés. »

De son côté, Sané Demba N’Diaye juge judicieux d’adapter l’information aux cibles que sont les jeunes. Et tout faire pour diminuer auprès d’eux l’impact des fausses informations.

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