Les députés qui viennent d’être élus à l’Assemblée nationale du Mali ne doivent pas limiter leur travail au « contrôle de l’action du gouvernement ». Ils sont aussi attendus sur les questions essentielles de la nation.
Ce 11 mai, le chapitre des élections législatives vient de se clore au Mali avec la rentrée officielle de l’Assemblée nationale et l’élection de son président pour les cinq prochaines années. Avec 134 voix, Moussa Timbiné, membre du parti au pouvoir (Rassemblement pour le Mali, RPM) contre 8 pour son unique concurrent, l’ancien Premier ministre Moussa Mara, le suspense aura été de très courte durée, et le résultat sans appel. Organisées dans un contexte d’insécurité et d’urgence sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19, ces élections auront révélé, une fois de plus, la face cachée de la démocratie malienne.
Le scrutin organisé en mars et avril 2020 a débouché sur l’élection de députés avec de très faibles taux de participation : moins de 10 % dans certaines circonscriptions et dans des conditions pour le moins discutables. Le manque de confiance dans les institutions responsables de l’organisation des élections, en particulier la Cour constitutionnelle, a affecté autant la crédibilité du processus que celle des vainqueurs. Résultat : une chambre certes élue mais sans fondation politique au sens noble du terme.
« Une Assemblée nationale aux ordres du gouvernement »
Ce défaut d’institutionnalisation se traduira, comme à l’accoutumée, par une faible capacité du pouvoir législatif à servir de contrepoids à l’exécutif. Le terme de « chambre d’enregistrement » a souvent été utilisé pour désigner une Assemblée nationale aux ordres du gouvernement, incapable de penser par elle-même ni de remplir sa fonction de contrôle de l’exécutif. Cela a conduit à l’émergence d’un système clientéliste, où la gouvernance est globalement déficiente. Le citoyen, en marge du processus, manquant de lisibilité, ne se reconnait pas dans cette institution votant les lois s’imposant à elle. Fâcheux ! Ennuyeux ! L’exécutif a longtemps été mis en cause dans les commentaires et les analyses de la crise, mais c’est trop vite oublier la responsabilité des élus de la nation.
Il est à noter qu’entre 2013 et 2019, l’Assemblée nationale ne s’est guère distinguée par son activisme politique. Pire, elle s’est surtout illustrée à travers les multiples scandales financiers et les nombreux cas de transhumance politique. Elle n’aura pas joué son rôle concernant l’Accord pour la paix et la réconciliation (APR) au Mali, la politique de défense nationale, la politique économique et industrielle du pays ou encore l’éducation nationale. Pourtant, ces sujets relèvent de la souveraineté nationale, donc de la plus haute importance. Oui, des débats ont été organisés çà et là, mais ils ont été caractérisés par leur extrême faiblesse.
Une Assemblée de consensus
L’élection de Moussa Timbiné, avec plus de 130 voix, présage hélas d’une certaine continuité au sein du parlement. Ce consensus, qui semble se dessiner, est le fruit des alliances multiformes entre les partis de la majorité et de l’opposition dans plusieurs circonscriptions électorales. Au diable le débat d’idées. Nous nous dirigeons donc vers une Assemblée de consensus, la même qui, entre 2007 et 2011, avait régné et dont on peine à se rappeler les succès.
La séparation des pouvoirs et l’existence d’institutions capables de moduler le pouvoir exécutif sont des éléments essentiels du régime de gouvernance que le Mali a décidé d’adopter en 1992. Dès lors que l’on transige avec ces règles essentielles, on fragilise l’État et laisse émerger des forces concurrentes susceptibles d’occuper les espaces laissés vides. L’insécurité chronique dans le nord et le centre du pays ainsi que les tensions latentes dans les régions de Kayes, Sikasso et dans le district de Bamako doivent davantage interpeller les acteurs politiques. Une nouvelle crise sociopolitique pourrait remettre en cause les fragiles acquis et précipiter le pays dans une voie sans issue.
Changements stratégiques
Ainsi, au regard de la gravité de la situation, il convient pour la nouvelle Assemblée nationale d’opérer des changements stratégiques pouvant améliorer son fonctionnement et de fixer des priorités d’action pour les six prochains mois.
Premièrement, il faudrait une plus grande ouverture de l’Assemblée nationale. Cela pourrait passer par une meilleure animation des permanences en exigeant des députés qu’ils rendent compte régulièrement du travail législatif qu’ils font. Ceux vivant dans des zones difficiles d’accès pourraient être appuyés par la Minusma ou d’autres partenaires à travers la mise à disposition de vols humanitaires. Puisque l’heure est au numérique, ce secteur pourrait être mis à contribution pour soutenir ce rapprochement essentiel entre les élus et les électeurs.
Deuxièmement, il est un secret de polichinelle qu’un grand nombre de députés éprouvent des difficultés à effectuer le travail législatif, et cela est dû en partie aux « copinages » dans le recrutement de leurs personnels de soutien. Pour y remédier, il doit y avoir une réglementation dans le recrutement d’assistants parlementaires pour favoriser un meilleur cadre d’étude de projets et propositions de lois.
Acteurs de la vie de la nation
S’agissant des priorités, il y a la question de la réforme du secteur de la sécurité, et il parait urgent de procéder à un audit complet de la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM) dont l’adoption a été quasi unanimement saluée et la mise en œuvre fortement décriée. Compte tenu du marasme économique dans le pays (malgré des chiffres macro-économiques faussement flatteurs), l’Assemblée nationale doit se saisir de la question économique, écologique, industrielle et énergétique. Ces secteurs sont interdépendants et un travail législatif proposant une libération des énergies est vitale.
Enfin, les questions d’éducation et de dialogue social ne doivent pas rester sans réponse. Par conséquent, il faut que les députés se saisissent de ces questions et proposent des solutions pour la réforme de l’éducation et des modalités du dialogue social.
Le rôle de l’Assemblée nationale ne se limite donc pas qu’au « contrôle de l’action gouvernementale » ou à celui de chambre de validation des actions gouvernementales. Les députés sont aussi attendus sur les questions essentielles de la nation sur lesquelles ils doivent travailler avec les couches sociales et faire des propositions, débattre et trouver des compromis. Ils sont acteurs à part entière de la vie de la nation, pas des hommes et des femmes que l’on réunit pour voter des deux bras.