Certains activistes soutiennent que les partis et associations politiques ont été suspendus au Mali parce qu’ils collaborent avec les « terroristes » ou sèment la zizanie. La réalité est pourtant beaucoup plus nuancée.
La situation politique est très tendue au Mali en ce moment. Le 31 mars, des dizaines de partis politiques et organisations de la société civile ont fait une déclaration disant que la transition est arrivée à son terme d’après la Charte, et qu’il fallait organiser des élections avant la fin de l’année en cours pour transférer le pouvoir à un gouvernement civil.
Les autorités de la transition, qui ne semblent pas prêts à quitter le pouvoir, ont réagi à cette pression en annonçant le 10 avril la suspension des activités des partis et associations politiques « pour raison d’ordre public ». Cette décision a été dénoncée par les défenseurs des droits humains comme une « violation à la fois de la loi malienne et du droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion telles que définies par le droit international en matière des droits humains. »
Dans ce contexte, certains acteurs publics essaient de défendre leur cathédrale par tous les moyens, souvent en tenant des propos qui sont loin de la vérité. C’est le cas de l’activiste suisse Nathalie Yamb, qui ne perd aucune occasion de défendre les autorités de transition dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), souvent en basculant dans la manipulation.
Éloge de l’autoritarisme
Le 11 avril, Nathalie Yamb a publié sur sa chaine Youtube une vidéo pour soutenir la décision des autorités maliennes de suspendre les partis politiques. « Depuis hier, quand l’annonce du décret portant suspension des partis politiques et associations au Mali a été rendue publique, les gens tapent leurs bouches. Ko c’est la dictature. Ko c’est l’enterrement de la démocratie. Mais la suspension des partis politiques dans des pays en guerre, ce n’est pas une chose surprenante », commence-t-elle. Ensuite elle a dressé une liste de pays sans partis ou à parti unique, de la Chine à Cuba en passant par les monarchies du Golfe. « Chacun de ces pays-là se porte mieux que n’importe lequel des pays africains dits francophones », ajoute-t-elle.
Mais Nathalie Yamb ne s’arrête pas là et décide de justifier pourquoi le pouvoir malien a décidé de suspendre les activités des partis et associations politiques. « On suspend des groupuscules nuisibles et qui ne servent qu’à déstabiliser les pays, collaborer avec les terroristes, nuire aux intérêts des populations, semer le mensonge et la zizanie ou à enrichir leurs animateurs. Des partis politiques qui n’existent que sur papier, où l’ensemble des membres peut suffire dans un taxi », conclut-elle son argumentaire.
Faire taire une catégorie de Maliens
Ce sont ces propos qui, à mon avis, sont faux en ce qui concerne le Mali, et qui sont même injurieux envers les acteurs politiques maliens. Aucun des partis et associations suspendus n’a jamais été accusé de soutenir le terrorisme ou de déstabiliser le pays. Certains mouvements politiques soutiennent la transition et ont même publié des communiqués expliquant qu’ils acceptent la suspension, sans doute pour prouver leur loyauté envers le pouvoir. D’autres ont combattu la dictature ou dirigé le Mali pendant des années, menant des combats plus ou moins louables. Même si ces partis ne sont pas très populaires en ce moment, certains d’entre eux ont incarné l’espoir des Maliens à une époque. Ils ne sont pas parfaits, mais ils ne méritent pas qu’on les accuse d’être des partis « nuisibles », juste parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le pouvoir.
La politique est ce qu’elle a toujours été : une lutte pour le contrôle du pouvoir. Aujourd’hui, cette lutte de pouvoir est entre le pouvoir des militaires et les acteurs politiques civils. Les propos, comme ceux de Nathalie Yamb, visent à montrer que cette lutte est entre les « gentils » d’un côté (les militaires) et les « méchants » de l’autre (les civils). C’est un classique, surtout dans les pays où la culture démocratique n’est pas suffisamment ancrée, que les gens qui sont au pouvoir ou ceux qui les soutiennent accusent leurs opposants d’être l’incarnation du Mal. Il ne faut pas que le Mali tombe dans ce piège.
Si nous voulons vraiment le Mali Kura tant chanté, il faut que les acteurs politiques défendent leurs intérêts, tout en gardant le respect nécessaire envers ceux avec lesquels ils ne sont pas d’accord. Surtout, pour que le Mali avance, il faudra continuer à écouter les patriotes qui sont dans toutes les catégories, que ce soit chez les militaires, chez les acteurs politiques classiques ou de la société civile. Faire taire certaines de ces catégories ne sera que mauvais pour le Mali.