Dans cette tribune, Sega Diarrah, spécialiste en sciences politiques et fondateur du site Maliactu.net, dresse un tableau peu reluisant de la situation de la presse au Mali.
Au Mali, les journalistes ont été les principaux acteurs de l’avènement de la démocratie. Le premier Président élu à partir de la révolution de 1991, Alpha Oumar Konaré, était le principal artisan du renouveau de la presse, dont le rôle fut décisif dans la contestation du régime kaki.
Vingt-sept ans après, les journalistes Maliens restent mal payés et peu protégés. C’est dans ce contexte que, le 21 février 2018, toute la rédaction du site Maliactu.net a été enlevée par des policiers en civil et séquestrée pendant plus de cinq jours dans les locaux de la Brigade d’investigation judiciaire. Motif : chantage à un ministre en vue d’obtenir sa démission. Et ce chantage se résume, dans les faits, à la publication d’un communiqué du collectif BI-TON, qui lutte pour l’emploi des jeunes et qui avait jugé les résultats dudit ministre insuffisants. Il se trouve que le ministre en charge de l’emploi, aux moment des faits, était cité dans une affaire de mœurs.
Un acte politique
Malgré toutes les violations des libertés fondamentales des journalistes arrêtés arbitrairement, un des journalistes de Maliactu, Salif Diarrah, est toujours sous contrôle judiciaire. L’arrestation et la détention des journalistes de Maliactu est un acte politique. Malgré une absence de preuve et la demande d’abandon des poursuites par les organisations de défense des droits de la presse, la Cour d’appel de Bamako a voulu maintenir le journaliste sous accusation. Nous avons fait appel auprès de la Cour suprême, qui n’a pas encore rendu son avis.
Cette histoire est un exemple parmi d’autres de pressions politico-judiciaires exercées sur les journalistes au Mali. Une dernière illustration peut être trouvée dans la campagne de presse déclenchée à la suite d’une plainte contre le confrère Boubacar Yalkoué du journal Le Pays à la suite d’une plainte déposée par la présidente de la Cour constitutionnelle.
Ce journaliste a été jugé et condamné, le 27 décembre, à six mois de prison dont 2 avec sursis par le tribunal de la commune 5 de Bamako. Sans rentrer dans les détails, il est inadmissible encore qu’au Mali, des journalistes se retrouvent en prison dans l’exercice de leur métier. La sanction est disproportionnée, et a pour seul but d’intimider les journalistes Maliens.
Il faut noter que les médias maliens, s’ils se signalent par la médiocrité de leur contenu, leur caractère partisan et volontiers diffamatoire, s’ils semblent d’un faible apport à la consolidation de la démocratie, n’atteignent pas cependant les excès constatés dans d’autres pays, notamment en matière de discrimination ethnique ou d’incitation à la haine. D’autre part, le rôle des médias n’est sûrement pas négligeable dans l’évolution progressive des mœurs politiques.
Alerte et information
Nonobstant leurs grandes imperfections, la promotion par les médias de la culture de la démocratie et des droits de l’homme est très importante au Mali. Tous exercent une fonction critique, qui, pour être peu mesurée, n’est pas sans influence sur la société. Leur fonction d’alerte et d’information peut être importante.
Enfin, l’État malien, théoriquement le grand régulateur, n’apporte-t-il pas lui-même chaque jour la preuve qu’ici règnent l’anarchie, l’informel et ses expédients ? L’erreur – et elle est fréquente, car elle est commode – consiste dès lors à considérer la presse comme un phénomène autonome qui devrait suivre une loi d’amélioration interne de son processus, toutes choses étant égales par ailleurs.
Au Mali la presse est née au nom de la démocratie, mais son faible épanouissement rend parfaitement compte des grandes difficultés rencontrées pour sa consolidation.