Le débat sur l’officialisation des langues nationales – puisque le Mali en compte treize (13) – pour remplacer ou les loger à la même enseigne que le français, n’est pas nouveau. Toutefois, son intensité s’inscrit dans un contexte doublement marqué : d’une part, la quête de refondation qui pourrait se matérialiser en des aspects dans l’avant-projet de la nouvelle Constitution, et par l’opportunité perçue afin de diminuer davantage l’influence politique et culturelle de la France au Mali, d’autre part.
Ce débat ne peut être que passionné mais point aveugle, car l’enjeu exige qu’il soit mieux informé. L’usage des langues nationales dans l’expression officielle dans nos pays reste un défi de gouvernance. Pour reprendre la juste préoccupation de la journaliste Ramata Diaouré, c’est un enjeu de transparence que de rendre accessible aux citoyens le communiqué du Conseil des ministres. Il est tout de même aisé de souligner qu’une large partie de la population ne s’exprime pas dans la langue officielle qu’est le français. Cependant, il ne suffit pas de décréter l’officialisation des langues nationales, mais plutôt de préparer la désofficialisation du français dans ce processus de mondialisation et d’échanges multiformes entre les nations.
Au mieux, la qualité du débat approfondira les possibilités réfléchies et concrètes de l’officialisation des langues nationales, avec ou sans langues étrangères. Sinon, ce sera une énième opportunité gâchée par des marchands d’illusions. Car la question fondamentale porte sur l’identité culturelle du Mali autour de laquelle il n’y a véritablement pas de consensus.
Joseph Ki-Zerbo et la théorie du dépassement
L’identité et la culture occupent une place centrale dans la réflexion de l’historien que fut le « vieux Joseph ». D’ailleurs, sa pensée resonnait dans cette partie du discours où Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères. Devant l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier, ce dernier rappelait que « l’Afrique n’est ni anglophone, arabophone, francophone, lusophone… L’Afrique est AFRICANOPHONE. »
Le professeur Ki-Zerbo écrivait qu’il était indispensable de lever cette « équivoque », qui donne la fausse impression d’une Afrique divisée en trois grands morceaux : les anglophones, les francophones et les lusophones. L’Afrique est un continent et non un pays. Sacrée révélation !
En réalité, cette vision de l’Afrique comme une entité culturelle fait écho aux travaux du professeur Cheick Anta Diop sur l’État fédéral africain et le dépassement des frontières artificielles héritées de la colonisation.
Pour Ki-Zerbo, « le problème des langues est fondamental parce qu’il touche à l’identité des peuples. Et l’identité est nécessaire pour le développement comme pour la démocratie ».
Seulement, l’identité n’est ni figée ni exclusive, car « il est indispensable et impossible de rejeter les langues imposées par la colonisation parce qu’objectivement, elles ont été intégrées dans notre patrimoine culturelle, elles unissent des peuples africains entre eux et avec la communauté internationale. Les langues nous font accéder à des gisements fabuleux de cultures et d’histoire qui sont des portes incontournables pour entrer dans le monde contemporain. »
En cela, le défi est moins de sortir du français que de créer les conditions consensuelles pour faire de nos langues nationales des outils d’expression et de communication entre nous et avec les autres.
La tentation dangereuse de l’affinité linguistique et ethnique
Précisions d’emblée que la langue n’est pas « l’ethnie » et ne peut, à elle seule, définir la personnalité culturelle d’un individu. Pourtant, l’identité culturelle malienne reste à construire. L’avant-projet de la nouvelle Constitution n’a justement pas gommé les désaccords profonds qui existent autour de questions existentielles.
Au Sénégal, selon une anecdote racontée par un participant à un Forum sous-régional, les Sénégalais étaient prêts à remplacer le français comme langue officielle mais les désaccords étaient vite apparus sur le choix de la langue nationale à officialiser. Au Mali, la même problématique reste manifeste malgré le débat vif pour la dépasser ou, au contraire, la discuter profondément pour arriver à un consensus. Sans cela, le risque que soulevait Ki-Zerbo, serait de « réduire l’identité culturelle au profit d’une ethnie, parfois d’un village, c’est évidemment verser dans le tribalisme, dans l’ethnologisme, qui ont fait tant de mal à l’Afrique ».
Paradoxalement, des repères endogènes tant sollicités pendant ce processus de refondation ne font finalement pas consensus, la Charte de Kurukan Fuga est un cas illustratif. De même que le bamanankan qui, arithmétiquement, bénéficierait d’office de statut de langue nationale officielle pour remplacer le français. Et c’est là où réside la fiction du nombre, donc de la majorité que donne également l’élection dans un contexte plus large.
Or, la refondation nous impose de trouver les ressorts intellectuels et moraux dans nos repères endogènes qui doivent refléter « la volonté générale » et non la somme des particularités. Il est tout de même heureux de constater un consentement tacite autour de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 octobre 1948 et de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples du 27 juin 1981.
Si pour Ki-Zerbo, « aucune ethnie africaine ne peut se vanter d’avoir structuré sa personnalité culturelle, encore moins sa personnalité biologique en vase clos », le défi reste tout de même de sortir de la vision totalisante d’une identité particulière pour aller à une identité culturelle malienne plurielle grâce au dialogue permanent et dynamique comme moyen du consensus autour de cette question existentielle.
Très belle analyse, équilibrée, bien écrite et bien réfléchie. Merci d’en faire une large diffusion. Car toute précipitation dans ce domaine (celui des langues) serait se précipiter dans l’abîme. Les questions de langues ne se règlent pas dans la passion, mais dans la réflexion.