Des Maliens demandent l’abandon du français pour le bamanankan comme langue officielle. Dans un pays où déjà 13 langues ont le statut de « langue nationale », l’application d’une telle demande serait source de troubles sociales, selon plusieurs spécialistes.
Le 14 janvier, des milliers de manifestants ont répondu à l’appel des autorités maliennes pour manifester leur soutien à la transition et dénoncer les sanctions économiques et financières, jugées « illégitimes » et « illégales », de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à la Place de l’indépendance. Des pancartes sont brandies, sur lesquelles on pouvait lire « A bas la Cedeao ! », « A bas la France, à bas l’impérialisme français », « Enseignons nos propres langues ».
Auparavant, des voix s’étaient élevées contre l’usage et l’enseignement du français au Mali. Ainsi, elles demandent que le bamanankan, une des plus parlées du pays, ait le statut de langue officielle.
Une multitude de communautés
La réalisation d’un tel projet reste délicate, selon plusieurs spécialistes. Kawélé Togola, maître de conférences en anthropologie du changement social et du développement à l’Université des lettres et sciences humaines de Bamako (ULSHB), estime qu’« un obstacle majeur, particulièrement sensible, semble se dresser sur le chemin de la satisfaction de cette ex gence : c’est l’existence d’une multitude de communautés avec chacune leurs langues auxquelles elles sont si profondément attachées, et qu’elles souhaitent voir davantage prospérer ».
Et le linguiste Fako Diarra d’ajouter: « Il est illusoire d’abandonner le français pour une langue nationale tout comme le franc CFA. Il n’y a aucun mécanisme pour les remplacer. D’ailleurs, les linguistes maliens ne sont toujours pas d’accord sur l’uniformité de l’écriture du bamanankan et d’autres langues nationales. »
Au Mali, les treize langues nationales « des langues de communautés ayant vécu le plus suffisamment longtemps sur le territoire pour être considérées comme nationales », note Amadou Salifou Guindo, maître assistant en sciences du langage et conseiller technique au ministère de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme.
La question cruciale qui se pose est de savoir quelle langue choisir dans cette multitude de langues et laisser les autres sans créer des frustrations ?
Un risque pour la stabilité du pays
Les préalables à l’adoption d’une langue nationale comme langue officielle sont nombreux. Outre la définition des critères (prédisposition de la langue à la science, son importance démographique, etc.), « il s’avère approprié de revisiter les perceptions sociales que se font les différents groupes ethniques à l’effet de les accommoder du choix de la langue nationale à ériger en langue officielle », selon Kawélé Togola. Avant d’ajouter : « La responsabilité de l’État, la volonté politique ainsi que celle des communautés s’en trouveront de fait engagées. »
Aux dires d’Amadou Salifou Guindo, depuis 2016 un projet de loi sur la promotion des treize langues nationales, et non du bamanakan seulement, est bloquée à l’Assemblée nationale, car d’aucuns jugent que l’adoption de ce texte pourrait constituer un risque pour la stabilité du pays, comme en Ukraine (le cas le plus récent), en Inde, au Pakistan, en Croatie, etc. En ce sens, le français joue un rôle stabilisateur et permet de vivre en harmonie. « Les langues sont comme des organismes. Elles naissent, vivent et meurent sans l’intervention de l’homme. Les langues dominantes s’imposent naturellement », juge le diplomate Mohamed Maïga.
De plus, M. Guindo soutient que pour qu’une langue soit érigée en langue officielle, le processus implique beaucoup de moyens financiers, de recherches, de formations pour les ressources humaines. A cela s’ajoute, selon Fako Diarra, les problèmes liés aux nouvelles technologies de l’information qui n’ont aucune correspondance en bamanankan ou dans une autre langue nationale.
Facteur de développement
En tout état de cause, une adhésion pleine des communautés est fondamentale voire requise, estime Kawélé Togola.
Afin d’assurer l’unité nationale, des recommandations spécifiques ont été retenues lors des Assises nationales de la refondation (ANR). Il s’agit de « faire adopter la loi portant officialisation des langues nationales conformément à l’esprit du document de politique linguistique et modifier conséquemment l’article 25 de la Constitution de 1992 » et « concevoir et mettre en œuvre un plan quinquennal de l’alphabétisme au Mali en utilisant toutes formes d’écriture des langues nationales (Tifinagh, N’Ko, Massaba, etc.) »
Dr Kawélé Togola soutient : « L’histoire retient très peu ou pas du tout d’exemples de pays qui se sont développés, au sens occidental du terme, au moyen d’une langue étrangère ». Un tel constat, selon lui, traduit avec éloquence l’exigence pour tout pays ayant vocation à se développer d’adopter sa langue nationale comme langue officielle : langue de l’administration, de l’enseignement, de la recherche et de la formation des cadres dans les divers domaines de la vie professionnelle.
Amadou Salifou Guindo conclut : « Nous sommes les seuls au monde à apprendre dans la langue du colonisateur. Tous les pays qui sont dans ce cas sont en retard sur le plan économique ».