À Kayes, la problématique de l’esclavage par ascendance divise. Le blogueur Aliou Diallo estime que l’État doit manier la carotte et le bâton pour lutter contre cette pratique.
Ce mercredi 3 juin 2020, dans la salle du Conseil de cercle de la jeunesse de Kayes, la communauté des blogueurs du Mali (Doniblog), à travers son projet Benbere, a organisé un débat sur la problématique de l’esclavage par ascendance. Une cinquantaine de personnes ont assisté aux échanges.
D’entrée de jeu, Dama Sacko, traditionaliste, défenseur de l’esclavage par ascendance, explique qu’il « n’existe pas d’esclavagisme à Kayes, mais le djonya ». Il définit le « djonya » comme un maillon de l’organisation sociale basée sur l’entraide régissant le rapport entre les personnes dans la société. La société est faite de telle sorte que chaque famille est spécialisée dans un domaine déterminé : « Les forgerons font la forge, les tisserands fabriquent les habits, les griots se vouent à la médiation entre les hommes. C’est exactement de cette façon qu’il faut voir ce que certains appellent “esclavagisme“ dans la région de Kayes. Les djon ont leur rôle à jouer et c’est ainsi », ajoute-t-il.
À cela, Modibo Dalla, président de l’association abolitionniste Ganbanaaxu, qui signifie en soninké « tous égaux » et lutte contre l’esclavage par ascendance, rétorque : « Mais, le fait d’obliger une personne à cultiver son champ, d’être contrainte d’accepter qu’une personne ait des rapports sexuels avec ton épouse ou ta mère, cela aussi fait partie de cette organisation sociale basée sur l’entraide ? Non. C’est bien de l’exploitation de l’homme par l’homme qu’il s’agit à Kayes. »
Ce qu’en dit l’islam
La religion prédominante dans la région de Kayes est l’islam. La question de l’esclavagisme dans la religion divise les musulmans. Si certains pensent que c’est une pratique révolue, alors que d’autres persistent à la soutenir. Ces derniers brandissent le verset 71 de la sourate 16 « Les abeilles » du Coran : « Dieu a favorisé certains d’entre vous plus que d’autres dans la répartition de ses dons. Que ceux qui ont été favorisés ne reversent pas ce qui leur a été accordé à leurs esclaves au point que ceux-ci deviennent leurs égaux. Nieront-ils les bienfaits d’Allah ? »
Mais, Oumar Barrou, imam dans la ville de Kayes intervenu en tant que panéliste lors du débat organisé par la Communauté des blogueurs du Mali (Doniblog), a un avis différent : « La religion musulmane est pour l’abandon de l’esclavage, la dignité humaine. À aucun moment, elle ne recommande l’esclavage. D’ailleurs, certains péchés ne sont expiés que si vous rendez la liberté à un esclave ». Une autre interprétation du verset cité plus haut.
« Un faux problème »
Aly Dougnon, président du Conseil régional de la jeunesse de Kayes, a une autre lecture de la situation. Il estime que la question de l’esclave par ascendance est une manipulation visant à effriter la cohésion sociale et le vivre-ensemble dans la région. « D’autres forces manipulent cette situation pour déstabiliser la région», affirme-t-il. Il invite les autorités nationales à accorder une attention particulière à cette problématique.
Dans la salle où se tient le débat, l’auditoire est aussi divisé que le présidium. Chacun a une position tranchée sur la problématique de l’esclavage par ascendance. « C’est un faux problème, tout est manigancé de la France », estime cet autre notable venu assister aux échanges. Ce dernier ajoute que « c’est juste pour lever des financements » qu’ils ont diabolisé la pratique de l’esclavage par ascendance.
Protection et respect de la dignité
D’un point de vue personnel, la question de l’esclavage par ascendance mérite une attention particulière. Elle n’existe pas que dans la région de Kayes. Dans plusieurs communautés en dehors de la région de Kayes, elle constitue plus ou moins un pan important de l’organisation sociale. Certaines personnes, ayant le statut d’esclave, le revendiquent pleinement. Il convient alors d’examiner la question en ayant du recul. Il faudra aussi revoir l’appellation « esclavage ».
Cependant, il revient aux autorités la charge de faire respecter l’État de droit. Les citoyens considérés comme esclaves et qui refusent d’en assumer le statut, méritent protection et respect de leur dignité. On ne doit pas les obliger à se soumettre à une organisation qu’ils jugent dégradante et humiliante.
La région de Kayes est sur le point d’être une poudrière avec l’installation progressive des groupes djihadistes. Ces derniers ne manquent jamais d’occasion de faire des conflits locaux des opportunités. Il faut que l’État manie la carotte et le bâton pour éteindre le feu du conflit né de la pratique de l’esclavage par ascendance dans la région.