#SiraKura : faut-il envoyer tous les officiers supérieurs maliens au front ?
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#SiraKura : faut-il envoyer tous les officiers supérieurs maliens au front ?

Les Assises nationales de la refondation (ANR) ont recommandé de « déployer les officiers supérieurs sur le terrain et non dans les ministères ». Une recommandation sans doute réaliste, mais pas suffisamment objective, selon le politologue Ballan Diakité.

La nomination de 13 officiers supérieurs sur les 20 postes de gouverneurs à pourvoir au Conseil des ministres du 25 novembre 2020 a ravivé le débat sur la présence des militaires dans l’administration publique au Mali. D’aucuns estiment que l’armée est « surreprésentée » dans les services de l’État. Pour d’autres, par contre, cette situation est légitime au regard du contexte sécuritaire difficile que traverse la nation.

Directeurs de service, conseillers techniques, attachés de défense dans les ambassades, gouverneurs, préfets, sous-préfets… Les militaires sont à tous les niveaux de l’échelon étatique. C’est un fait indéniable que la transition en cours a accentué davantage le phénomène à travers des nominations d’officiers supérieurs à la présidence, au gouvernement ou encore au Conseil national de transition (CNT). Il n’est pas exagéré de parler d’une « transition en uniforme ».

Relais du pouvoir central

Pour rappel, avec la nomination des 13 officiers supérieurs, le nombre de militaires au poste de gouverneur et ou de préfet s’est triplé. On en est arrivé à un stade où, dans la conscience collective, s’est finalement enracinée l’idée que les postes de gouverneur, de préfet ou de sous-préfet seraient exclusivement réservés aux hommes en tenue. Ce qui est d’ailleurs faux ! Ces autorités déconcentrées (gouverneurs, préfets…) sont en vérité, dans le cadre de la décentralisation, des relais du gouvernement central. A ce titre, leur mission principale consiste à veiller aux intérêts supérieurs de la nation à travers l’exercice d’un contrôle d’opportunité et de légalité sur les actions des collectivités locales, qui disposent à priori de la prérogative de l’autonomie de gestion.

Les fonctions de gouverneur et de préfet sont donc aussi valables pour les civils que pour les militaires. D’où l’étrangéité de la quasi-monopolisation de ces fonctions par l’armée. On peut en dire autant du gouvernement ou encoure du CNT où on trouve également un nombre important de militaires. Mais cet état de fait suffit-il, à lui seul, pour plaider pour un retrait total de tous les officiers supérieurs œuvrant dans l’administration publique ? Vouloir tous les officiers supérieurs sur le terrain est-elle une revendication objective ?

Nécessaire objectivité dans l’analyse

Les Assises nationales de la refondation (ANR) ont été particulièrement marquées par un élan spectaculaire d’émotion. Il n’est donc pas étonnant que certaines recommandations soient teintées d’une forte dose de sensationnel plutôt que de rationalité. Pour cette raison, il est plus que nécessaire de prendre du recul pour analyser les contours et les implications de certaines recommandations.

L’idée qu’il faut déployer les officiers supérieurs sur le terrain et non pas dans les ministères relève, non pas d’une analyse objective de la situation, mais plutôt d’une frustration collective au regard du nombre important de soldats tués sur le champ de bataille. Cela est tellement vrai que, pour quiconque connaît ce qu’est réellement la guerre, saura qu’elle dépend autant de la stratégie et du commandement qu’au combat frontal.

Le succès sur le terrain est avant tout le résultat de la stratégie développée en amont. Cette stratégie est, en soi, un système de coordination entre plusieurs acteurs (ministères, ambassades, etc.) aux rôles et aux responsabilités différenciés. Elle est mise en œuvre par les pouvoirs publics, à l’interne comme à l’extérieur du pays. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on parle aujourd’hui de « diplomatie de la défense ».

Indispensable collaboration entre militaires et civils

Le trait principal de la diplomatie de la défense est le recours combiné à des outils diplomatiques et militaires. Les enjeux liés à la lutte contre le terrorisme et les changements chroniques dans l’environnement de la sécurité au Mali rendent de plus en plus nécessaire et indispensable le rôle des attachés militaires dans les services et organes de l’État. La réforme du secteur de la défense et de la sécurité dans un pays en voie de démocratisation, comme le Mali, nécessite à la fois une conjonction et une coordination pour une meilleure conjugaison des efforts entre militaires et civils dans les différents compartiments du pouvoir politique.

Oui, il faut envoyer au front les officiers supérieurs maliens. Mais il faut aussi que nous en gardions quelques-uns comme attachés de défense dans certains ministères et ambassades stratégiques de l’État pour consolider les décisions politiques relatives à la sécurité et à la défense.

En définitive, nous devons en effet encourager et soutenir un processus de démocratisation qui permet une séparation rigide entre le politique et le militaire. Cela suppose que le militaire ne s’immisce plus dans les affaires politiques et qu’il se contente d’assumer pleinement sa mission fondamentale de sécurisation des personnes et de leurs biens. Cet idéal, nous devrons l’atteindre dans un processus de compréhension et de responsabilité commune sur l’indispensable collaboration entre militaires et civils sur des questions de défense et de sécurité dans un contexte de trouble généralisée et de lutte contre le terrorisme au Mali.


  • Ballan Diakité est politologue.

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