Quand nous avons un père violent, qui prend plaisir à battre tout le temps notre mère, sans qu’on ne soit capable de la sauver, on en souffre énormément. Une victime se confie.
Nous avons tous au moins une fois rêvé de la famille parfaite au sein de laquelle tout se passerait toujours bien. Enfant, à nos yeux, le tableau est bien beau : nous voyons notre père comme un « super héros » et notre mère comme une reine dans le meilleur des mondes. En tant que fille, notre géniteur représente à nos yeux le modèle parfait d’époux que nous aimerions avoir, mais on se rend compte parfois que celui-ci n’est pas vraiment exemplaire.
En prenant de l’âge, nous découvrons alors l’envers du décor. Tout le monde ne mérite pas le statut de parent, même si dans notre société, en tant qu’enfant, nous n’avons pas vraiment d’avis à donner sur le comportement d’un père, qu’il soit déplacé ou pas. Grandir en voyant notre « super héros » se comporter de façon maladroite nous amène à nous poser une multitude de questions. Le problème est que dans cette société malienne, les hommes ont la possibilité et la facilité de tout faire, se cachant généralement derrière la religion et la tradition.
Marquée à vie
Grandir en voyant sa mère se faire battre pendant que la société voit cela comme quelque chose de normal est l’acte qui m’a personnellement le plus choquée. Mon géniteur ne se contentait pas de la battre, mais je préfère taire certaines choses pour ne pas choquer les âmes sensibles.
Je vous assure que cela me foudroyait, et le pire est que je ne pouvais pas intervenir. A vie, je suis marquée.
J’en étais arrivée au point de haïr mon propre père. Je n’arrivais pas à répondre aux questions de mes jeunes frères, qui me demandaient sans cesse : « Pourquoi? ». Ces questions me rappelaient ma propre incompréhension à leurs âges. Mon cœur d’enfant n’arrive malheureusement pas à le haïr, car il reste tout de même mon père, celui à qui je dois la vie. J’ai plusieurs fois essayé de lui dire d’arrêter, de le raisonner mais cela a été perçu comme un affront envers lui et j’en ai évidemment payé les conséquences.
Je repense à toutes ces fois où j’entendais les cris de ma mère, dans sa chambre. J’essayais pourtant de la « sauver », mais mes efforts étaient a chaque fois vains. Je repense à toutes les larmes que nous avons versées avec elle, cette femme incroyable avec un cœur d’or.
Des questions sans réponses
Je lui en veux aussi à elle d’être restée et d’avoir continué à le chérir. Combien de fois lui avons-nous dit de partir ? Combien de fois l’avons-nous suppliée ? Combien de fois s’est-elle retrouvée blessée ? Je ne peux pas compter. Rien qu’entendre la voix de cette « dame », mon cœur se gonfle d’amour et d’admiration. Je me demande toujours pourquoi elle s’inflige tout cela. Sa réponse est toujours la même : « Je suis là pour vous. »
Je pense à tous les enfants qui ont vécu des situations semblables et qui continuent à les vivre tout comme moi. Combien de familles continuent à se taire face à ces situations ? Jusqu’à quand la société continuera à cautionner cela ? Combien de femmes choisissent de rester dans leur mariage au nom de l’honneur, parce qu’une femme divorcée est mal vue alors qu’elles souffrent ? Combien de femmes continueront à mourir encore sous les coups de leur époux ? Je suis arrivée à un point où les questions fusent dans ma tête sans réponses satisfaisantes.
Grandir dans un tel environnement nous donne une vision erronée des hommes en général, car si notre père, qui devrait normalement être notre idéal masculin est ainsi, qu’en est-il des autres hommes ? Seraient-ils réellement différents ?
Voir son père en tous les hommes
J’ai, pour ma part, développé un caractère de méfiance extrême envers la gente masculine. Ma confiance est littéralement au bord du gouffre, mais par-dessus tout, j’ai une forte volonté de m’en sortir sans l’aide d’un homme.
On dit souvent aux femmes de rester dans leur ménage pour leurs enfants, pour stabilité de ces derniers. On fait croire aux femmes au Mali qu’être mariée est une aubaine. La pression sociale est telle que les femmes se marie dent sans vraiment être sûres de leur choix. En d’autres termes, elles se marient pour se marier comme le disent certains.
J’aurais personnellement préféré de voir mes parents séparés que d’assister à tout cela. Je ne sais pas exactement quel message ou quelle leçon vous pourriez tirez de tout ce que je viens de dire, mais je ressentais le besoin décrire ce que j’avais sur le cœur. J’espère juste que la société cessera d’être complice de ce genre de situation.
Pour terminer, j’aimerais citer Ibrahima Ly, dans son roman Toiles d’araignées (éd. L’Harmattan, 1982) : « Notre société fait des femmes de véritables otages. Chez nous, le succès de l’enfant dépend non pas de son intelligence et de son habileté, de sa persévérance dans l’effort et de son courage, mais uniquement de la capacité de résignation de sa mère, de la passivité de celle-ci face aux insultes du père, des coépouses, des belles-sœurs. La résignation est la clé de voûte de note société… » (P.314). Il avait vu juste.