A Tombouctou, on ne respecte plus la mémoire des morts. Les cérémonies mortuaires donnent lieu aux plus grandes extravagances, dans le plus grand mépris de nos traditions.
Les maisons mortuaires, hélas, ne sont plus les lieux de recueillement. Elles sont devenues des espaces de causeries. Au cimetière, pendant que les proches pleurent leur mort et que certaines se recueillent, d’autres, sans la moindre pudeur, décrochent leur téléphone dont la sonnerie est le dernier tube de feu DJ Arafat : « Allo ! Allo ! Rappelle-moi, je suis à un enterrement. On n’a pas encore fini ».
J’ai été sidéré de voir des personnes venues présenter des condoléances aborder des sujets politiques, sportifs et même le contenu du dernier film qu’ils ont vu la veille. C’est dire combien nos morts ne sont presque plus respectés. Pour Fadimata Alhaye, habitant à Djingareiber, quartier de Tombouctou, « il ne manque plus qu’à appeler les artistes pour chanter, parce que les chansons dans les téléphones s’invitent aux cérémonies mortuaires ».
Allure de mariages et de baptêmes
Elle ajoute que les cérémonies mortuaires ont perdu beaucoup de leur sérieux ces derniers temps, au point qu’elles ne sont pas loin de prendre l’allure des mariages et baptêmes. « Même les griots sont présents pour dire à la ronde ce que d’aucuns ont donné aux personnes affligées. Et ils chantent presque les louanges du défunt. C’est seulement la musique qui manque. Les gens oublient le mort. Pire, lorsque les femmes préparent la nourriture, c’est la plaisanterie à tout bout de champ. On discute de tout, même des rumeurs les plus insignifiante. C’est dommage », déplore-t-elle.
Deux choix s’offrent à mon avis : se recueillir dans un silence relatif, ou rester chez soi. Parce que nos morts n’ont pas besoin qu’on vienne rire d’eux. Rire à gorge déployée ne sied pas lors d’une cérémonie funéraire. J’ai été encore estomaqué d’entendre, lors d’une cérémonie funéraire, des jeunes discuter sport, souvent de façon houleuse. « Je te jure, la lucarne d’hier, le gardien ne pouvait la voir venir, à fortiori l’arrêter », disait un jeune lors d’une cérémonie funéraire, comme si nous étions en train de suivre une finale de Ligue des champions d’Europe.
Traditions piétinées
Nous avons désormais transformé les cérémonies mortuaires en festival. Chacun peut rire, papoter avec l’autre sans penser à la mémoire de la défunte personne. C’est à croire que la mort ne représente plus rien pour nous, parce que nos traditions sont foulées aux pieds. Sane Chirfi Alpha, fervent défenseur de la culture tombouctienne, ne dira pas le contraire : « À Tombouctou, on piétine de plus en plus les traditions en ce qui concerne le mariage, la circoncision. Et même les funérailles sont devenues des fêtes au cours desquelles les téléphones sonnent jusque dans les cimetières et sont, malheureusement, décrochés. Les maisons mortuaires sont devenues des « grin » aux causeries mondaines et éclats de rires ininterrompus ».
Des morts catalogués
A Tombouctou, les cadavres sont même catalogués. Ce classement est relatif à la situation financière de la famille du défunt. Ainsi, le cadavre est qualifié de boukaw daawo (cadavre maigre) ou boukaw naaso (cadavre gras). Ce catalogage est surtout confirmé selon la qualité et l’abondance de la nourriture au sein de la maison mortuaire.
La religion, surtout musulmane, est claire sur le sujet : c’est le silence absolu qui doit régner aux cérémonies mortuaires ou la lecture des versets du Coran.
Boudjouma Arby est leader religieux à Tombouctou. Lors d’une cérémonie funéraire, il s’est vu obligé de rappeler à l’ordre les plus extravagants présents à une inhumation : « Ayez la crainte d’Allah. La religion nous interdit de prononcer ici le moindre mot. Autrement, il faut invoquer le nom de Dieu. Même la nourriture qu’on prépare n’est pas obligatoire. A part ceci, tout le reste n’est que superflu et péché », explique-t-il.