Beaucoup de politiques maliens de premier rang ont déserté le débat par calcul politique, par peur ou par lâcheté. Mais s’ils continuent de garder le silence, le peuple malien finira par croire qu’à part les militaires, il n’y a plus personne capable de diriger ce pays, soutient le blogueur Cheibane Dembélé.
« Votre silence est très retentissant. Nous pouvons l’entendre jusqu’aux États-Unis ». C’est par ces mots qu’un activiste ougandais, vivant aux Etats-Unis, a récemment interpellé Mathias Mpuuga, le chef de l’opposition dans le parlement ougandais, qu’il accusait de ne pas avoir le courage de défendre les droits de ses concitoyens.
Ce reproche pourrait être adressé aux politiques maliens. En analysant l’espace médiatique, on peut facilement remarquer que depuis au moins deux ans, beaucoup de politiques maliens de premier rang ont déserté le débat politique. On voit leurs photos sur les pancartes sur les grands axes routiers de Bamako, mais on ne les entend plus à la radio ; on ne lit plus leurs communiqués, ils ne s’expriment plus dans les journaux. On entend leur silence jusqu’à Tombouctou, dirait-on dans un film américain.
Quand la peur prend le dessus
Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? D’abord, la peur. Tous ceux qui expriment leurs opinions en public ont peur : les journalistes, les blogueurs, et bien sûr les politiques. Cette peur est fondée, surtout quand celui ou celle qui doit s’exprimer n’est pas d’accord avec les dirigeants de la transition.
Les journalistes et les blogueurs ont surtout peur de pécher contre la Loi sur la cybercriminalité. D’autres ont peur de voir leurs médias suspendus ou fermés, comme ça a été le cas pour Joliba TV News. Certains décident même de ne plus publier leurs opinions sur leurs pages Facebook ou Twitter. Et ils se disent qu’un bon journaliste est un journaliste vivant, une formule que les professionnels de médias répètent comme un mantra partout où il devient impossible de s’exprimer librement.
Les politiciens ont aussi peur, principalement pour deux raisons. Ceux d’entre eux qui ont été aux affaires, et qui n’auraient pas les mains trop propres, ont peur que s’ils parlent trop, un procureur sorte leur « dossier » pour corruption. Les autres ont surtout peur d’être soupçonnés de manquer de patriotisme.
On ne peut plus rien dire
Avant la transition, il y avait deux catégories de personnes qu’il ne fallait pas critiquer au Mali : les imams et les militaires. Mais les imams, eux, pouvaient critiquer voire défier le pouvoir. Mais ça, c’était avant.
Aujourd’hui, même un imam aussi puissant que Mahmoud Dicko ne peut pas se déplacer dans un pays frère comme l’Algérie, sans que ça tourne au scandale diplomatique.
Ce qui a changé maintenant, c’est que les militaires sont au pouvoir. Critiquer le pouvoir, c’est critiquer les militaires. Et on ne critique pas les militaires impunément. L’éternel opposant Oumar Mariko, qui a osé remettre en cause la version officielle dans la tragédie de Moura, est depuis en exil. Personne ne veut subir le même sort, et donc personne ne peut plus rien dire. Sauf bien sûr soutenir la transition et les Forces armées maliennes (FAMa).
Trois choix
Dans un « grin » de journalistes, un confrère résumait récemment la situation ainsi : « On a aujourd’hui trois choix au Mali : la prison, l’exil ou le silence. » Le choix le plus facile est évident. Ceux qui souffrent directement de cette léthargie sont les animateurs de débats politiques sur les plateaux de radios ou télé, et qui ne trouvent plus grand monde pour débattre.
Mais ce silence, surtout celui des politiciens, est une erreur. Ou plutôt une lâcheté. Certains peuvent penser que c’est un « repli stratégique », et que quand la transition sera terminée, ils reprendront leur place comme par magie dans la cour des grands. Mais en gardant le silence, ils se condamnent à une mort politique certaine. On dit souvent que la nature a horreur du vide. Si les politiciens laissent le terrain politique aux seuls dirigeants de la transition, le peuple malien finira par croire qu’à part les militaires, il n’y a plus personne capable de diriger ce pays. Ce qui est faux.