Lauréate du prix découverte de la Semaine de l’innovation, Kadidia Nienta est une potière qui mélange savoir ancestral et modernité.
Bamako, 25 mai 2023. Au pupitre de la salle des banquets du Centre international de conférence de Bamako (CICB), Dr Ibrahim Togola, le président du Conseil d’Administration de Mali-Folkecenter Nyetaa, invite Kadidia Nienta à se présenter à l’auditoire de la Semaine de l’innovation. Pas rapide, teint noir, vêtue en bogolan, elle se dirige vers le présidium. Elle se présente. Le public se lève, l’ovationne. Son visage s’illumine. Elle disparait dans la foule.
« Elle est l’illustration qu’on n’a pas besoin de faire des études pour créer. Ses innovations nous montrent qu’on peut innover avec nos produits locaux. Elle a su combiner son savoir ancestral sur la poterie avec la modernité », poursuit Togola.
Une heure après, une nuée de visiteurs envahit le stand qu’elle partage avec un autre exposant. « On dit qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’agent du beurre. J’ai réussi à démontrer le contraire », plaisant-elle sourire aux lèvres. Parmi ses œuvres, un pot servant à la fois de décoration et d’humidificateur qui fonctionne avec le courant électrique et de l’eau pour rafraîchir. Elle envisage de l’alimenter avec l’énergie solaire ou une batterie pour conserver l’énergie.
« Génie créateur malien »
Salif Sanogo, journaliste, ancien directeur de l’Office de radiotélédiffusion du Mali (ORTM), est émerveillé. « Je vois qu’à partir des matériaux de chez nous, on peut faire tout ce que les matériaux modernes nous offrent. C’est l’une des meilleures illustrations du génie créateur malien. »
Kadidia est née en 1979 dans un environnement de poterie. Sa grand-mère et sa mère ont toutes exercé cette profession. « Depuis la tendre enfance, je faisais de la poterie avec deux générations de femmes pour guider mes premiers pas », se remémore-t-elle. « Sa mère était l’une des meilleures potières de Mopti. Comme on le dit, le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre », témoigne l’ancien maire de la commune urbaine de Mopti, Oumar Bathily. « Rarement j’ai rencontré une personne aussi désintéressée par l’argent », ajoute-il. Elle identifie les sites des monuments et les aménage à ses frais. Le premier monument qu’elle a construit avec l’appui de la mairie se dresse au carrefour du Centre commercial de la ville. Elle a huit monuments à son actif à Mopti et à Sévaré. Elle a eu l’idée des monuments lors d’un voyage aux États-Unis.
Transmission
A son retour, elle décide d’embellir sa ville malgré ses maigres ressources financières. Elle prend contact avec le maire de l’époque Oumar Bathily. Sceptique au début, l’édile finit par céder face son abnégation. Il l’autorise à bâtir des monuments en terre cuite sur certaines places publiques. Son successeur Issa Kansaye, actuel maire de Mopti, perpétue cette complicité.
Kadidia est la promotrice du centre de formation professionnelle Kada Aly Kanitao. Tous les monuments et autres œuvres y sont produits avec l’aide de ses apprentis. En ouvrant ce centre il y a douze ans, son objectif était d’enseigner aux plus jeunes un savoir ancestral pour sa pérennité. Mais aussi une opportunité de création d’emplois. Environ 150 personnes ont été formées dans ce centre et beaucoup volent de leurs propres ailes aujourd’hui.
Le manque de soutien des autorités la chagrine malgré les efforts pour les séduire. « C’est regrettable mais mes plus grands soutiens viennent de l’étranger. On veut que nos efforts soient reconnus aussi chez nous », déplore Kadidia Nienta. Les proches ne facilitent pas son travail non plus : « Tu ne gagnes rien en faisant ça. Tu ferais mieux de laisser tomber », « toutes tes maigres ressources vont dans ça. Il faut arrêter et te consacrer du temps, investir sur toi-même », s’entend-elle dire souvent.
Prix découverte
Gérer la famille et vivre de sa passion lui demande beaucoup de sacrifices. Elle qui est mariée et mère de quatre enfants. La benjamine est en première année dans une école de santé, les deux autres filles et un garçon sont mariés. Son mari, un commerçant et agriculteur, la soutient dans son entreprise. « Quand il entend des opportunités dans les médias ou ailleurs, il m’en parle et m’incite à y participer ou chercher des informations complémentaires », affirme-t-elle.
Son neveu Aboubacar Samassekou, styliste-designer, la décrit comme « une personne tenace, à l’écoute des gens, un modèle en matière d’innovation». Cette ténacité, c’est justement ce qu’admire chez elle Oumar Bathily. « Elle harcèle, plusieurs coups de téléphone. Elle vient me rencontrer jusqu’à ce qu’elle obtienne gain de cause pour l’emplacement de ses monuments ».
En effet, cette persévérance a valu à la potière de décrocher le prix découverte de la première édition de la Semaine de l’innovation autour des technologies adaptées aux changements climatiques, organisée du 22 au 24 mai 2023 par l’ONG Mali-Folkecenter.