Dans cette tribune qu’elle a bien voulue publier sur Benbere, Aïcha Diarra, jeune écrivaine saluée dans le microcosme littéraire bamakois, appelle les femmes à continuer le combat qui, selon elle, est loin d’être gagné.
Contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient penser, la journée internationale de la femme commémorée chaque 8 mars n’est pas une lutte ou une volonté de domination que les femmes souhaitent exercer sur les hommes. Cette journée des femmes, si l’on peut se permettre de le dire ainsi, fait désormais partie de la civilisation humaine car elle est célébrée dans le monde entier et chaque femme s’y reconnait car la question de la violence faite aux femmes n’a pas de frontière : elle existe presque dans tous les pays du monde et reste d’une actualité brûlante malgré les efforts et les mobilisations.
Au Mali, la journée du 8 mars est souvent minimisée ou même limitée à l’aspect festif et à la commercialisation des pagnes que les femmes se sentent souvent obligées d’acheter, souvent de mauvaises qualités produits par certaines sociétés qui se font un chiffre d’affaires conséquent. Les uniformes sont bien, mais selon moi la meilleure manière pour une femme de contribuer à cette journée, c’est de s’interroger sur la condition de la femme. Parce qu’il faut le reconnaitre, ces dernières années, notre pays a connu des cas de violences conjugales allant jusqu’au meurtre. Même si c’est une fête, cette journée devrait plus s’intellectualiser et sortir de cette logique commerciale. Elle devrait permettre aux femmes de dresser un bilan, de faire l’état des lieux des luttes menées, des victoires, des échecs, des humiliations, des violences et violations qui ont étouffé et qui continuent d’étouffer le féminisme et par là son caractère humain.
A mon avis, derrière ces discriminations, ces dominations, ces violences physiques et psychologiques à l’endroit de la femme, souvent justifiées par la culture ou la religion, se cachent une volonté de domination masculine. Cette volonté de domination masculine est assez complexe et émane le plus souvent de l’éducation. Par exemple, un garçon élevé dans un milieu où la femme est discriminée ou violentée s’habitue à cette pratique et adopte le même état d’esprit de domination sur la femme sans pouvoir le justifier : ce qui pourrait être qualifié d’héritage psychologique. Il en est de même pour une fille habituée à subir la domination et qui intègre ce style d’infériorité en elle, l’empêchant de s’affirmer et de s’épanouir tout au long de sa vie.
Une réinterprétation des cultures concernant le statut de la femme
Tant que ce genre d’état d’esprit perdure, il y aura toujours des femmes qui continueront à souffrir, à mourir en silence intégrant cette souffrance dans leur mode de vie comme quelque chose de normal. A travers des manifestations, comme la journée du 8 mars, les femmes doivent être capables par elles même, de mettre la lumière sur des situations pareilles, sensibiliser et aider leurs sœurs à connaître leur droit.
Au Mali, Il est vraiment temps de « savoir se débarrasser » de certaines interprétations mensongères, qui nous laissent penser que nos cultures ont privilégié les hommes par rapport aux femmes et qui poussent à croire à un certain concept de supériorité ou de domination d’un sexe sur un autre. La réinterprétation de nos cultures concernant le statut de la femme au sein de la société et même de la famille devrait faire l’objet de débat et d’analyse profonde et rigoureuse afin de sensibiliser, de faire respecter le droit des femmes et de déconstruire certains préjugés qui constituent un blocage à son épanouissement (violence physique et psychologique, discriminations, excision, mariage forcé et précoce, etc…).
« Nos cultures n’empêchent pas la femme de s’épanouir »
La déconstruction de ces préjugés passe par une analyse de nos cultures, telle que la Charte du Mandé ou Charte de Kurukanfuga, patrimoine national et même international. Il faudrait retenir que nos cultures n’ont point lésé la femme, n’empêchent point la femme de s’épanouir, de s’instruire ou de travailler. Mais, c’est plutôt la volonté de domination masculine qui en est la base. Il est dit dans la charte du Mandé, notamment dans l’article 1er :
« Les chasseurs déclarent que toute vie humaine est une vie,
Il est vrai qu’une vie apparait à l’existence avant une autre vie,
Mais une vie n’est pas plus ancienne, plus respectable qu’une autre vie,
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie. »
Beaucoup d’autres aspects culturels contredisent les pratiques de discriminations à l’encontre de la femme souvent justifiées comme culturelles et religieuses. Dans cette partie du serment des chasseurs, nous pouvons relever l’aspect égalité et complémentarité entre l’homme et la femme.
La question des droits de la femme est une question existentielle qui doit être pensée de façon intellectuelle en nous basant sur les principes humains et socio-culturels et non sur des principes héréditaires qui, le plus souvent, contribuent à nourrir le concept de domination physique et psychologique issu du père et de l’aîné et qui se transmet de génération en génération.
Dans l’organisation sociale de la charte du Mandé, certains aspects sur la respectabilité de la femme, son implication dans les affaires socio-politiques, ses droits et devoir figurent :
« N’offensez jamais les femmes nos mères. » (Article 14)
« Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari. » (Article 15)
« En plus de leurs occupations quotidiennes, les femmes doivent être associées à tous nos Gouvernements » (Article 16)
Longtemps, on nous a fait croire que nos cultures exigent de la femme qu’elle reste à la maison, s’occupe uniquement des enfants, des casseroles et supporte les violences qu’elles subissent. Il est temps de s’opposer à ce genre d’affirmations qui rabaissent la valeur intellectuelle de nos cultures prises en référence au niveau mondial.
Certaines femmes pensent que la lutte est gagnée parce qu’elles bénéficient d’un environnement qui leur permet de s’épanouir, alors qu’il y a un nombre incalculable de femmes au Mali et à travers le monde qui, du fait de leur environnement culturel ou religieux, subissent des violences de toutes sortes au point qu’elles arrivent elles-mêmes à intégrer cette torture comme faisant partie de leur vie.
Selon Dr Diakité Aïssata Traoré, ancienne ministre de la Promotion de la femme, « l’année 2018 au Mali a été particulièrement douloureuse pour les femmes et les filles. De janvier à août, le nombre de cas de violences basées sur le genre rapportés par le sous cluster VBG, s’élève à 1948 cas, soit 27% d’augmentation par rapport aux cas rapportés en 2017. En plus, 70% de ces données collectées en 2018 proviennent essentiellement des régions du nord et du centre du Mali et que la quasi-totalité des survivants sont de sexe féminin (97%) dont 53% étaient des enfants de moins de 18 ans. »
A mon avis, cette statistique malgré sa croissance, est assez loin de la réalité car il reste beaucoup de cas non signalés, sans doute plus nombreux d’ailleurs que ceux signalés. Il faudrait noter que toutes les violences ne sont pas uniquement faites par les hommes mais aussi la société entière à travers des pratiques comme l’excision et le mariage forcé.
Malgré tous ces défis, il y a eu beaucoup d’avancées, parce que les femmes sont en train d’intégrer presque toutes les couches de la société. Mais des efforts et des défis restent à relever parce que ce combat de longue haleine est loin d’être gagné tant qu’il y aura une femme victime de violences basées sur le genre.