Au Mali, le blues des jeunes stagiaires
Iwaria IWARIA
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Au Mali, le blues des jeunes stagiaires

Le blogueur Mahamadou Dème raconte le parcours de jeunes stagiaires qui, au lieu d’apprendre, se voient confier d’autres tâches qui n’ont rien à voir avec leur raison d’être là.

À la fin des études, les élèves, étudiants sont conditionnés à effectuer des stages dans les services, publics ou privés, pour enrichir leur curriculum vitae. Il y aussi l’espoir de pouvoir capitaliser sur ces expériences pour obtenir un travail dans le futur.

Mais au Mali, où la jeunesse est en proie au chômage, « qui est en passe de devenir la première calamité nationale », pour reprendre Amadou Keïta dans le roman Les roues du destin, le stage de perfectionnement s’est transformé en job de « thidenya » (« coursier ») ou de « barakèdenya » («boy ») .

Calvaire

J’ai rencontré beaucoup de jeunes, y compris d’anciens camarades de la fac, et écouté leurs témoignages. Ces jeunes, qui ont connu d’énormes difficultés de part et d’autre dans nos écoles et universités, sont déçus par ce qu’ils ont vécu après l’obtention du diplôme. Dans les services où ils ont l’opportunité d’effectuer des stages, ils vivent le calvaire. C’est le cas de N.O., diplômé en Gestion de la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG) depuis 2010. Grâce au piston d’un tonton, il a eu la possibilité de faire un stage d’apprentissage dans une entreprise privée de la place.

Le premier jour, il était tout content de quitter, enfin, son quotidien de fainéant qu’il passait à siroter du thé dans le grin (groupe informel de discussion). Mais, très vite, la déception est au rendez-vous : au lieu d’apprendre, il est coursier. « La secrétaire, au deuxième jour, m’a envoyé acheter du « gan mougou' » (gombo), raconte-t-il. Je l’ai fait par respect, car elle a l’âge de ma mère. Le jour suivant, elle a récidivé et je lui ai dit que je la respectais mais que j’étais là pour un stage, pas pour les petites courses personnelles. S’il y a des commissions qui concernent l’entreprise, je peux les faire, mais si c’est autre chose je préfère rester à la maison. »

Paumés et aux abois

Si le cas de N. O en dit long sur ce qu’est devenu le stage dans certaines administrations, aussi bien publiques que privées, il faut relever qu’il partage cette condition avec plusieurs autres jeunes, diplômés, en stage, paumés et aux abois.

Amadou, qui a quitté la fac en 2018, a commencé son stage dans une entreprise privée dont il préfère taire le nom. Il y était parti pour apprendre à réparer des frigos, réfrigérateurs et faire des installations électriques. « Mais aujourd’hui, mes connaissances se limitent à celles que j’ai reçues à l’école. Chaque matin que Dieu fait, je suis contraint d’aller déposer les enfants de mon chef à l’école. À la descente, je pars les chercher et amener notre déjeuner. S’ils ont cours le soir, je suis appelé à refaire la même chose », se lamente-il. Frustré, Amadou a décidé d’aller voir ailleurs.

Au Mali, il n’est pas rare de voir les jeunes sortants de l’université s’entendre reprocher d’obtenir des diplômes et de refuser d’apprendre un travail. « A l’université, personne ne vous apprend à travailler. On vous donne un savoir sur mille et une choses. C’est après l’université qu’il faut apprendre à travailler », me disait très souvent un oncle. Mais il apparaît clairement que le fonctionnement de certains services est devenu un plafond de verre pour le désir d’apprendre pour ceux qui obtiennent la possibilité de faire des stages.

Faire du thé

Aussi banal que cela puisse paraître, certains stagiaires en sont réduits à être le « bouclier entre le patron et ses nombreuses maîtresses », ou à faire du thé toute la journée. « Croyant que cela allait finir j’ai continué à faire du thé. Le seul changement qu’il y a eu, c’était pour moi la possibilité de remplir les nationalités, comme si j’étais venu pour apprendre à écrire », s’emporte O.T., détenteur d’une maîtrise en droit de la Faculté de droit privé de Bamako et stagiaire dans un tribunal. Au Mali comme ailleurs, ce cursus se prévaut d’un taux d’inemployabilité record.

Aboubacar, lui, détenteur d’un Master en Comptabilité, s’est retrouvé en stage dans un service public où ils étaient 10 stagiaires dans un petit bureau et passaient la journée à causer. Depuis, il a pris une décision : ne faire un stage que dans un cabinet d’expertise. Ce qui est le cas depuis début 2019.

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Les commentaires récents (2)

  1. Cet article est très révélateur sur les conditions de stage au Mali. Aucune structure étatique (à ma connaissance) ne réglemente ces périodes d’apprentissage dans les entreprises, toutes choses qui encourage cette exploitation sans aucune voies de recours et pire encore certaines filles sont victimes d’harcèlement et d’attouchement sexuels dans les bureaux.

    La responsabilité incombera à l’inspection du travail qui soit veiller strictement à encadrer les stages par des contrats ou des conventions.

    Mais nous sommes au Mali.

  2. Cet article est très révélateur, car aucune structure aujourd’hui (sauf erreur de ma part) ne protège les stagiaires. Alors que cette tâche doit normalement incomber à l’inspection du travail qui doit encadrer ses périodes d’apprentissage par des contrats ou des conventions afin de bien réglementer et définir les différentes activités qui y sont liées.

    Hélas nous vivons au Mali, un pays où tout reste à faire…

  3. Bjr, merci beaucoup pour ce article. Je suis moi même actuellement en stage de perfectionnement(après l’obtention de mon diplôme de licence en 2018), à dire vrai je ne fais rien de passionnant(vaisselle, copies, petites commissions interminables… ) sur mon lieu de stage. Tout ce que je veux maintenant c’est en finir avec ce stage, mais les stages ne se trouvent pas facilement et presque tous se ressemblent.