Quelques jours après l’attaque meurtrière d’Indelimane, Laurent Touchard, spécialiste des questions de défense, relativise les critiques à destination de l’armée malienne.
Des questions m’ont été posées au cours des deux derniers jours : « Comment peut-on dire que les armées africaines ont des qualités, que l’armée malienne progresse, après le tragique événement à Indelimane ? » Cette « news » a donc pour objet d’affirmer une nouvelle fois que si les armées africaines ont des défauts, elles ont également de belles qualités. Les Forces armées maliennes (FAMa) ne dérogent pas à ce constat.
L’attaque d’Indelimane, le 1er novembre 2019, avec un très lourd bilan pour les FAMa, est présentée comme la démonstration flagrante de l’échec de la reconstruction de l’armée malienne ainsi que comme l’illustration de l’échec de l’opération Barkhane (en particulier dans la zone de Ménaka).
Au sein des FAMa, des faiblesses notables existent toujours dans différents domaines, à commencer par celui du renseignement d’intérêt militaire. Des problèmes de formation n’ont pas disparu. Le fléau de la corruption est moins visible qu’en 2012-2013, sans être éradiqué. A quoi s’ajoute le manque de moyens financiers et, en conséquence, le manque de moyens matériels. En résumé, la professionnalisation est handicapée par de nombreux obstacles contextuels et structurels. Oui.
Avancées timides
Cependant, les FAMa ont considérablement évolué depuis sept ans. Des efforts importants ont été fournis avec l’aide française. Le souligner n’est pas faire preuve d’un optimisme béat. L’armée malienne de 2019 est sensiblement meilleure que celle vaincue dans le nord, sept ans plus tôt. La réalité des avancées – aussi timides soient-elles – n’est pas contradictoire avec la réalité des faiblesses. Elles relèvent l’une et l’autre d’une mise en perspective ouverte plutôt que d’un regard borgne.
Les FAMa le prouvent en étant davantage présentes sur le terrain. Elles savent également accomplir efficacement leur mission. Ne citons qu’un seul exemple. En juillet 2019, un convoi civil escorté par des militaires maliens tombe dans une embuscade, dans les environs du village de Fafa (zone d’Asongo). Un élément d’intervention FAMa est dépêché et les Maliens tiennent bon pendant environ une heure trente de combat. Lorsque des éléments de Barkhane entrent en lice, les djihadistes se retirent. Ils perdent une dizaine d’hommes et de l’équipement. Les Maliens ont honorablement fait face au départ, sans aucune aide de Barkhane. Ces faits d’armes d’un quotidien de violences illustrent que les soldats maliens peuvent aussi se battre très correctement. Malheureusement, ces succès sont moins relayés (et nous pourrions donner d’autres exemples, comme le comportement exemplaire de la plupart des militaires nigériens engagés à Tongo Tongo aux côtés des Américains le 4 octobre 2017).
« Inversion des cibles »
Pour revenir à Indelimane, Bokar Sangaré, brillant chargé de recherche pour l’ISS, a attiré mon attention sur un entretien avec Ibrahim Maïga pour Ouest-France. Ibrahim Maïga parle judicieusement d’une stratégie « d’inversion des cibles », avec des forces nationales africaines (Niger, Mali) qui sont de plus en plus souvent attaquées. Elles le sont car elles sont nettement plus fragiles que les éléments de Barkhane et relativement plus fragiles que ceux de la Minusma. Elles le sont car cela exacerbe aussi le ressentiment quant aux présences étrangères.
Ajoutons qu’il est également crucial pour les djihadistes de briser le lent cheminement de l’armée malienne depuis 2013. Il est vital, pour eux, de réduire à néant un semblant de fierté renaissante au sein de l’institution militaire malienne, mais aussi d’une partie de la population du Mali vis-à-vis de son armée. L’armée malienne doit devenir un sujet de honte, une mentalité de vaincus doit s’ancrer dans les esprits. En aucun cas, les populations des villes – et encore moins celles des zones rurales dans le centre et le sud du pays – ne doivent reprendre confiance en leur armée. Les djihadistes ne veulent pas voir émerger une armée nationale relativement professionnelle et relativement capable.
Effet surprise et de sidération
Or, une attaque comme celle subie par les FAMa, le 1er novembre, est difficile à contrer pour peu qu’elle n’ait pas été anticipée correctement, que les « signaux » n’aient pas été suffisamment considérés. Problème du renseignement militaire déficient… Comme souvent, ce sont mêmes les djihadistes qui auraient bénéficié d’un avantage en la matière, des témoignages faisant état du survol du camp par un drone, un mois avant l’attaque. Il y a des défauts terribles, je ne le nie pas, je les dépeins aussi. Et c’est avec ces défauts que les militaires africains s’efforcent souvent de faire de leur mieux.
Une fois l’opération déclenchée, les djihadistes savent exploiter leurs atouts tactiques et valoriser les faiblesses de leurs adversaires. Le mode d’action est classique, reprenant les méthodes que j’ai décrites dans mon article BSS : de l’attaque à l’heure du repas à l’utilisation de motos « en essaims » en passant par les tirs de mortiers. En profitant de l’effet de surprise et d’un effet de sidération (plus encore si une action-suicide a bien été menée), les éléments maliens ne pouvaient être que submergés. Ils n’ont pas été « mauvais », ils n’avaient simplement aucune chance. Les Américains ont eux-mêmes payés cher la virtuosité tactique djihadiste à Tongo Tongo, le 4 octobre 2017. Les Maliens tués le 1er novembre 2019 n’étaient pas de mauvais soldats. Ils sont morts parce qu’une guerre très difficile se déroule, dans laquelle des coups sont également portés à l’ennemi.
Exposer que les soldats maliens – les soldats africains en général – sont capables de combattre efficacement, suggérer de ne pas s’attacher à voir uniquement les faiblesses (sans pour autant les ignorer) et évoquer les qualités des armées africaines, leurs évolutions (y compris en matière de droits de l’homme), la valeur humaine de nombreux personnels, est pertinent.
Une première version de cet article a été publiée ici.
Les militaires envoyés en guerre ne sont pas formés pour ça, nos généraux ont tous fait des écoles de guerre mais à quoi ça sert de faire ce genre d’école si c’est pour rester ici au Sud alors que le Nord du pays a besoin d’eux ? Cette guerre cache bien des réalités que nous ne connaissons pas ! Qu’Allah sauve le Mali🙏