Éditorial : poussée d’adrénaline
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Éditorial : poussée d’adrénaline

Les temps que nous vivons ne sont pas bons du tout, et rien ne le prouve mieux que l’emballement soudain entre le Mali et la France. Un courriel interne attribué au Quai d’Orsay au ton assez dur pour pointer les “ incohérences” de Choguel Maïga qui fuite, la ministre française des Armées, Florence Parly, qui se montre un peu brut de décoffrage et qualifie d’inacceptable, d’indécent les propos tenus par ce dernier. Calcul risqué ou risque calculé, dans un discours enflammé à la tribune de l’ONU, le premier ministre malien a en effet accusé la France d’abandonner le Mali « en plein vol » dans la lutte contre le terrorisme. Alors même que, grand paradoxe pour les Français, Florence Parly avait déboulé à Bamako, il y a quelques jours en pleine embrouillamini sur le dossier Wagner, pour rassurer ses partenaires maliens. A-t-elle été entendue ? A l’évidence non, du moins si l’on s’en tient à l’escalade verbale de ces derniers jours.

Mais ce n’est pas aujourd’hui que les lignes de fracture sont apparues, et tous ceux qui ne refusent pas de voir l’ont peut-être vu venir. Il ne fait pas de doute que cette poussée de fièvre est la conséquence d’une stratégie qui a, pour les autorités maliennes de transition, consisté à se fabriquer un « ennemi extérieur », en l’occurrence la France– l’ennemi idéal–, à qui tenir tête vaudrait en soi tout un bilan pour ne pas dire un acte héroïque. Héroïque parce qu’il s’agit de l’ancienne puissance coloniale qui, dans l’imaginaire collectif, n’agirait que pour continuer à plier nos têtes à sa volonté. Héroïque comme lorsqu’on dit à la face du monde qu’être souverain, c’est avoir la liberté de choisir ses propres supplétifs, c’est-à-dire Wagner. Héroïque parce qu’un nationalisme sparadrap nous fait croire qu’il s’agit d’un « combat de libération » alors qu’il suffit de discuter pour avancer nos agendas à nous.

Tout cela se passe sans que, grand malheur, l’on ne puisse comprendre un seul instant que la France ne doit pas devenir un alibi qui « nous empêche [nous] de penser nos problèmes », qui sont ailleurs : instabilité sécuritaire, misère dans les hôpitaux, vie tellement chère que les familles ne voient même pas la queue du diable à plus forte raison la tirer, « liquidation méthodique du système éducatif », la saleté qui défigure nos quartiers, la violence urbaine… Et aucune voix – audible – pour nous dire de ne pas continuer à être otages de l’histoire.

Que personne n’ait dit que l’on n’a pas besoin d’une confrontation avec la France en dit long sur la myopie qui frappe les élites politique et intellectuelle, d’ailleurs de plus en plus complotistes. Des soldats français sont morts aussi chez nous, et cela aurait dû nous pousser à la retenue. Mais les digues sont en train de céder au point qu’on en arrive à jeter aux orties même les valeurs de jatigiya, de maaya qui nous ont permis pourtant de tenir et de ne pas s’effrondrer. Pourtant, la réalité est que depuis 2012, il n’y a jamais eu de construction politique venue de l’intérieur pour sauver ce pays. Pas même l’accord pour la paix. Mais tout cela est aussi « la faute de la  France » et des autres, mais pas de nous, tout sauf de nous, comme l’a déjà fait croire le discours de Choguel Maïga aux Nations unies. Il est temps que nous nous assumions. Et s’assumer, c’est aussi demander à la France de se retirer, si tant est que c’est ce que nous voulons. Sauf si toute cette agitation ne participe que de la même stratégie d’obtenir une prorogation de la transition.

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