Franc CFA : « Le débat est mal posé, et c’est tout le problème », selon Mohamed Houna
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Franc CFA : « Le débat est mal posé, et c’est tout le problème », selon Mohamed Houna

Sur la question du franc CFA, symboles et émotions prennent souvent le pas sur les enjeux économiques réels. Pour Mohamed Houna, banquier à la retraite et fin observateur des dynamiques monétaires en Afrique de l’Ouest, il est temps de réorienter le débat.

Le franc CFA est devenu l’un des sujets les plus polarisants sur le continent, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Depuis quelques années, cette monnaie concentre frustrations historiques, discours militants et visions opposées. Pour certains, elle incarne « l’ultime vestige colonial à abattre », pour d’autres un rempart face aux dérives inflationnistes. Mais pour Mohamed Houna, le problème vient surtout de la manière dont le débat est posé : « Le débat est mal posé. Et c’est tout le problème. » Comme il l’a déjà expliqué dans une tribune publiée récemment dans Tama Media.

Entendre le poids des symboles sans s’y enfermer

Bien au-delà de ses mécanismes économiques, le franc CFA porte une charge symbolique forte. Son nom, son histoire, le lieu d’impression de ses billets, tout évoque un lien ambivalent avec la France. Ce ressenti traverse les générations et dépasse largement les cercles militants. « Il ne faut pas sous-estimer la portée géopolitique et symbolique du franc CFA », souligne le banquier.

Pour une grande partie de l’opinion publique, cette monnaie incarne une souveraineté inachevée. Il est donc essentiel d’écouter ce malaise, tout en gardant la tête froide : « Il faut ménager l’opinion sans flatter les illusions. Les symboles doivent conduire à une réforme réelle, et non s’y substituer. »

Un débat stérile piégé dans de faux clivages

Souvent, les discussions se résument à un affrontement caricatural : d’un côté les « patriotes », de l’autre les « technocrates ». Une mise en scène qui empêche de poser les vraies questions. « Le bruit couvre la complexité. On s’enflamme pour des symboles, mais on évite les vrais sujets. »

L’un des exemples les plus fréquents est celui de l’imprimerie de Chamalières, en France. Le fait que les billets y soient produits est régulièrement présenté comme une preuve de dépendance. Une lecture simpliste, selon l’ancien banquier. « Ce n’est pas à l’adresse de l’imprimerie que se joue la souveraineté monétaire, mais dans la capacité à piloter une politique économique adaptée, à maîtriser nos leviers macroéconomiques, à gérer nos réserves avec transparence et intelligence. »

Des réformes amorcées mais encore floues pour le grand public

Depuis 2019, l’Union économique monétaire ouest-africaine (UEMOA) a engagé plusieurs réformes majeures : suppression de l’obligation de déposer les réserves de change auprès du Trésor français, retrait de la France des instances de gouvernance de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), promesse d’un changement de nom de la monnaie… Des gestes salués, mais qui restent largement invisibles aux yeux des populations.

Selon Mohamed Houna, l’enjeu désormais est d’éviter de se limiter à des gestes symboliques. « La vraie souveraineté monétaire ne se proclame pas, elle se construit. Pas à pas. »

Le débat sur le franc CFA mérite mieux que des slogans. Il ne s’agit pas simplement de changer de nom ou d’imprimer les billets ailleurs. Il s’agit surtout de repenser la gouvernance économique, de renforcer la transparence, et de bâtir une monnaie au service des besoins réels des États africains. Cela demande rigueur, pédagogie et moins de bruit.

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