Cette note a d’abord été publiée dans la lettre hebdomadaire #184 du magazine Afrique XXI.
« Le destin choisit souvent les sujets sur lesquels il s’acharne. Des personnes ordinaires peuvent se trouver prises dans les tribulations d’une vie qu’elles n’ont pas choisie. » Ces deux phrases, sur lesquelles s’ouvrent les mémoires de Cheick Sidi Diarra, intitulées Résilience, sont éloquentes sur sa trajectoire en tant que diplomate, secrétaire général adjoint des Nations unies (2007-2012) puis soutien du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, avant d’en devenir l’adversaire. Le livre raconte le destin d’un homme impuissant à peser sur les événements, qui se résigne finalement à subir l’Histoire.
Dès les premières pages de la première partie (« Le fil de ma vie »), Diarra livre un témoignage sur une enfance marquée par la violence politique à l’orée de l’indépendance du Mali (ex-Soudan français)« mise en œuvre pour faire place nette autour de l’US-RDA [Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain, NDLR] et lui assurer une place de parti unique de fait », pour reprendre les mots de l’anthropologue Alexis Roy. Les événements appelés, dans les rares travaux académiques, le « drame de Sakoïba » (en mai 1960, le hameau de Sakoi͏̈-Fulala et une partie du village de Sakoi͏̈ba ont été détruits et de nombreux habitants qui avaient osé s’opposer au parti unique ont été arrêté), survenus dans la région à dominante bamanan de Ségou, illustrent la récurrence des révoltes contre le pouvoir central malien, qui ne se limitent pas au nord du pays.
Diarra sera ballotté à Kidal dans l’aventure de l’emprisonnement de son père accusé de régionalisme : « un contestataire et un rebelle contre l’unanimisme qui caractérisait la politique de l’ère des indépendances sous la transition de la Communauté française vers l’US-RDA ». Les Diarra sont connus comme descendants de la dynastie qui a régné sur l’État guerrier de Ségou, fondé par Biton Coulibaly au XVIIIe siècle et défait par le djihad d’Elhadj Oumar Tall. La fratrie compte également Cheick Modibo Diarra (ancien Premier ministre du Mali), Sidi Sosso Diarra (ancien Vérificateur général) et Cheickna Hamallah Diarra (urbaniste à la mairie de New York).
Les souvenirs qui inondent les pages de ce récit autobiographique emmènent le lecteur de Ségou à Kidal, de Bamako à Dakar, New York, Tunis et Alger. Dans la Grosse Pomme, l’auteur dirige la Mission permanente du Mali auprès des Nations unies avant de devenir l’adjoint de Ban Ki-moon.
Par ses fonctions, Diarra sera le témoin de la décennie noire en Algérie, de la première guerre du Golfe, de la crise des Balkans, de la deuxième guerre du Golfe (intervention en Irak). Lors de ce dernier événement, à cause de son alignement sur la position française, Kofi Annan subira « une rupture avec certains membres influents du Conseil de sécurité […] qui voulaient abréger son second mandat », sauvé par une déclaration de soutien des ambassadeurs africains et d’autres groupes régionaux, écrit Diarra. Les défaillances dans le fonctionnement des représentations maliennes et les querelles de personnes impliquant souvent le ministre de tutelle sont aussi passées à la moulinette par le diplomate, retraité depuis le 22 décembre 2022.
Formé à Dakar en droit public et en relations internationales, Diarra commence sa carrière en 1981 sous le règne du parti unique « né des entrailles du régime militaire ». Il entre dans la fonction publique au ministère des Affaires étrangères, du temps de maître Alioune Blondin Bèye, le principal artisan, en tant que représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, de l’accord en 1994 entre Luanda et l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola.
Les mémoires de diplomate sont rares. L’exercice auquel se livre Diarra contribue à l’effort d’entretenir la mémoire collective sur les coulisses de la politique étrangère du Mali. Mais il s’agit aussi d’un témoignage sur un parcours marqué par un engagement militant, à travers son mouvement politique Anw Bè Faso Do (Notre patrie commune, NPC), qui le rapprochera du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) dirigé par Soumaila Cissé, l’un des mouvements membres du M5-RFP qui contestera jusqu’à sa chute le régime d’IBK. Proche du régime, Diarra a finalement rompu avec le président à cause de la conduite du Dialogue national inclusif (DNI), dont il avait la responsabilité, et de la « gestion familiale » du pays. L’ouvrage est donc aussi un diagnostic sur l’état actuel du Mali, que son auteur n’a eu de cesse de dénoncer à coup de tribunes dans les médias, également rassemblées dans la deuxième partie du livre, intitulée « Le fil de mes réflexions ».
À lire : Cheikh Sidi Diarra, Résilience, Baudelaire, 384 pages, 2024.
Bokar Sangaré
