Livre : pourquoi relire « Les crapauds-brousse » de Tierno Monénembo
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Livre : pourquoi relire « Les crapauds-brousse » de Tierno Monénembo

Plus de quarante ans après sa publication, le roman Les crapauds-brousse relance la question qui, jusqu’à présent, n’a pas trouvé de réponse : à quoi servent les intellectuels africains ?

On aime dire que les livres sont la nourriture de l’esprit. Il faut souligner que certaines nourritures sont plus utiles que d’autres. Les crapauds-brousse (Seuil, 1979) est un de ces livres à forte valeur nutritive qui ne laissent pas indifférents ceux qui le lisent.

Publié en 1979, le roman raconte l’histoire de Diouldé, un jeune africain ambitieux qui va faire des études d’ingénieur en Hongrie, et rêve de retourner construire son pays. Mais, à son retour, il perd toutes ses illusions : le dictateur sanguinaire Sâ Matrak fait plus la pluie que le beau temps, et son régime n’a aucune considération pour les intellectuels « idéalistes ».

L’impuissance des intellectuels

Diouldé et sa bande, ne pouvant rien faire de leurs idéaux, se résignent à servir le régime de Sâ Matrak, intègrent la fonction publique, rédigent des rapports que personne ne lit (« inutile gribouillage ») et se réfugient dans l’alcool et la débauche. Ils ne pensent plus qu’à faire la fête, comme pour oublier l’absurdité de leur condition.

Mais ce paradis de substitution est de courte durée : la vie de Diouldé bascule quand Daouda, l’un des bourreaux du régime, fait tuer un vieillard sous le regard impuissant de l’intellectuel et le prévient : « Tu n’as rien vu, rien entendu : n’oublie pas que tu as une femme et une mère ». Diouldé ne dira et ne fera rien contre cette ignominie. Pour autant, le régime n’épargnera ni sa femme, ni sa mère… Le paradis se transforme très vite en enfer.

Un roman philosophique ?

Ce premier roman de Tierno Monénembo (de son vrai nom Thierno Saïdou Diallo) – qui aura le Prix Renaudot 2008 pour Le Roi de Kahel –  peut être qualifié de roman philosophique dans la mesure où il inspire la rage et la révolte contre le mal, l’injustice, la corruption. Il amène les intellectuels africains, d’hier et d’aujourd’hui, à réfléchir sur leur responsabilité dans le destin de leur pays. Si ces derniers se contentent d’avoir une place à la mangeoire, de couvrir les crimes des pouvoirs qu’ils servent et d’avoir leur part du butin de la corruption, ils auront raté leur place dans l’histoire. Ils seront même plus inutiles que ceux qui n’ont pas fait d’études.

En effet, dans Les crapauds-brousse, alors que Diouldé et sa bande d’intellectuels-fêtards résignés sont accusés de complot, arrêtés et exécutés les uns après les autres sans même avoir le courage de s’exiler alors qu’ils savent qu’ils sont en danger, ce sont les « villageois », les voyous, les prostituées et le fou qui décident d’agir, de prendre les armes et faire la guerre contre le pouvoir criminel de Sâ Matrak.

Quarante ans après sa publication, Les crapauds-brousse relance la vieille question qui, jusqu’à présent, n’a pas trouvé de réponse : à quoi sert un intellectuel africain ? Le débat est toujours ouvert. A chaque « intellectuel » de donner sa propre réponse. Tierno Monénembo, lui, continue à donner l’exemple, comme quand il prend la plume pour dénoncer les dérives du pouvoir du président guinéen Alpha Condé, qu’il accuse de vouloir « s’octroyer coûte que coûte un troisième mandat, quitte à marcher sur des monceaux de cadavres ».

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Les commentaires récents (2)

  1. J’ai trouvé cet article intéressant dans la mesure où il met en évidence certaines problématiques majeures du roman : la situation postcoloniale de certains pays africain, l’épineux problème de la dictature avec sa soif de sang et de crime, la lâcheté des intellectuels, la révolté des sans-voix, le mal-être etc. Que devons-nous faire face au mal? Devons-nous coopérer avec les bourreaux? Devons-nous les affronter? Il me semble que les réponses seront contextuelles et dépendront de la nature des maux auxquels on fait face! Toutefois, ce roman peut aussi être lu comme une satire car il existe dans celui-ci des traits esthétiques que l’on retrouve dans la satire latine. Dans un article intitulé  »La Fabrique de la satire dans Les crapauds-brousse de Tierno Monénembo », je tente de démontrer cela. Merci bien.