Mali : consolider l’expérience souverainiste
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Mali : consolider l’expérience souverainiste

Rarement une demande politique aura été clairement exprimée par les peuples africains, en particulier sahéliens : la souveraineté. Elle est restée constante au Mali, de la première à la quatrième République, amplifiée en fonction des conjonctures sociopolitiques et géopolitiques.

Ce fut le cas pendant le second mandat de feu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) qui, en 2013, s’est fait élire sur une rhétorique souverainiste. En 2021, les autorités de la transition ont opéré « un tournant souverainiste », comme s’intitule le récent rapport de l’International Crisis Group (ICG) : « Le tournant souverainiste au Mali : ajuster la trajectoire ».

La question de la démocratie est, elle, intrinsèquement liée à la souveraineté. L’inverse est-il vrai pour autant ? En posant la question autrement, un État souverain est-il ou mène-t-il vers un État démocratique ? Dans un entretien paru dans le quotidien national L’Essor, le professeur Diola Bagayoko justifiait ainsi la nécessité d’accorder plus de temps à la transition : « Pour avoir une vraie démocratie, il faut un état souverain, totalement indépendant du contrôle de n’importe quelle autre entité ». Cette prise de position, du professeur malien vivant et enseignant aux Etats-Unis, s’inscrit dans une thèse de plus en plus répandue qui postule qu’un État doit d’abord être souverain avant de prétendre être démocratique.

Le souverainisme et la démocratie sont-ils antinomiques ?

Sans tomber dans un débat doctrinal et souvent caricatural, la réflexion mérite d’être élargie aux conditions de détention et d’exercice d’une souveraineté absolue dans un monde multipolaire où les alliances et les coopérations entre les États impliquent une logique de souveraineté partagée dans certains domaines. Comment un État peut-il garder tous les attributs de sa souveraineté dans une dynamique d’intégration régionale et/ou continentale ?

Le débat que soulève le constat de M. Bagayoko, largement partagé par une partie non négligeable de l’opinion malienne, porte plutôt sur le phénomène de dépossession autant chez l’État dans la coopération que chez les citoyens dans la gouvernance. Ce qui est décrié et qui justifie la demande souverainiste est la présence des forces armées étrangères sur le territoire malien, considérée comme un coup porté au monopole de la violence légitime et à l’exercice de l’autorité sur l’ensemble du territoire malien. Seulement, ce n’est pas lié qu’à la présence d’une force ou armée étrangère mais aussi aux rapports politiques déséquilibrés qui en découlent et qui empêchent la pleine exercice de la souveraineté d’un État.

La préoccupation que soulève le débat n’est pas liée à la quête légitime de la souveraineté, mais à la diffusion de l’idée selon laquelle la démocratie empêche la souveraineté ou qu’elle est un instrument pensé contre la souveraineté. Le rapport de l’ICG souligne : « Le discours souverainiste puise sa force actuelle dans un double mécontentement de la population malienne. D’une part, contre les élites politiques au pouvoir depuis les années 1990, perçues comme largement corrompues et soumises aux influences extérieures, et accusées d’avoir sapé la démocratie malienne. D’autre part, contre l’incapacité – en dépit de leurs promesses et de plus de dix années de présence sur le terrain – des forces internationales à freiner la détérioration constante de la situation sécuritaire depuis 2013, et notamment la progression des groupes jihadistes. »

L’insatisfaction des citoyens vis-à-vis des pratiques de gouvernance alimente justement ce désir de souverainisme. D’où la nécessité de le repenser en le remettant dans son cadre politique.

Penser le souverainisme comme outil politique 

Le rapport de l’ICG retrace bien la trajectoire du souverainisme dans l’histoire contemporaine du Mali en analysant les ressorts populaires actuels qui l’alimentent et qui orientent les décisions publiques. Car, « Plus qu’un simple discours, ce positionnement de l’État malien transforme le pays. Il canalise la profonde aspiration au changement de la population, nourrissant l’espoir et de fortes attentes envers les dirigeants. Les militaires ont bien saisi le potentiel de ce mouvement d’opinion. » Comme l’arbre ne doit pas cacher la forêt, de même dans nos analyses, le militaire ne doit pas cacher le désir de changement du citoyen surtout de voir son pays reposséder la décision sur son territoire.

Cette transition, contrairement à celle de 2012, a tout de même offert un cadre au souverainisme à travers les trois principes : « le respect de la souveraineté du Mali, le respect des choix stratégiques et de partenaires opérés par le Mali, la défense des intérêts vitaux des populations maliennes dans toutes les décisions prises. » Sur cette base, des choix opérés en ont été la traduction concrète « qui a permis de recréer un lien autrefois distendu entre l’État et les citoyens, notamment parmi la jeunesse, mais plutôt de le réajuster. »

Parmi les nombreux mérites du rapport, l’analyse ne propose pas de « rompre avec le tournant souverainiste » mais de l’ajuster et de le rééquilibrer à travers ces trois principales recommandations « (A) Rééquilibrer les dépenses sociales et les budgets militaires ; (B) Renouer avec les voisins et les anciens alliés occidentaux ; (C) Développer une version plus inclusive du souverainisme et lancer un véritable dialogue » afin d’éviter des sorties de route. De même, pour consolider l’expérience, il reste impératif de repenser politiquement le souverainisme. Les partis ou acteurs politiques semblent minimiser sa portée ou ne pas être capables de lui donner des contenus pour prévenir les tentations nationalistes et autoritaires. Cela permettrait d’éviter deux fausses manœuvres. La première serait de réduire le souverainisme à son seul versant sécuritaire. La deuxième serait d’exclure les militaires de la réflexion sur le souverainisme.

L’économiste et universitaire turc Dani Rodrik expose un trilemme : « La démocratie, la souveraineté et l’intégration économique mondialisée sont mutuellement incompatibles : nous pouvons en allier deux sur trois mais jamais les trois simultanément et totalement.» D’où la prudence en procédant à un choix équilibré fondé sur la complémentarité dans un premier temps pour, ensuite, le radicaliser à travers des offres politiques qui traitent sérieusement la question souverainiste qui sera au cœur des enjeux électoraux en perspective.

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