Des routes qui se fissurent après quelques mois, des écoles inachevées, des milliards de francs CFA évaporés… Au Mali, la corruption dans les marchés publics est une réalité. Et c’est le citoyen ordinaire qui en paie les frais.
Derrière chaque route fissurée ou infrastructure défectueuse se cache souvent un marché truqué, un appel d’offres manipulé, ou une surfacturation soigneusement dissimulée. Entre 2021 et 2024, le procureur général de la Cour suprême a révélé que les irrégularités dans la gestion des fonds publics ont causé à l’État un préjudice de plus de 80 milliards de francs CFA – dans la continuité d’un manque à gagner de plus de 1 200 milliards de francs CFA enregistré entre 2005 et 2019.
Dans une note d’analyse intitulée Renouer le dialogue et reprendre en main la transition au Mali (2022), l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS) rappelait qu’en aout 2022, la presse s’était fait l’écho de « détournement de procédure » dans l’attribution d’un marché de BTP de 24,2 milliards de francs CFA. Le Bureau du vérificateur général (BVG), dans son rapport 2021, avait indiqué que 18 dossiers ont été transmis à la section des compte de la Cour suprême et 22 autres dénoncés aux procureurs en charge des pôles économiques.
Des milliards engloutis dans le goudron
Dans le secteur des travaux publics, la corruption pèse lourdement sur le Mali. A titre d’exemple, le Bureau du vérificateur général a relevé plus de 4,6 milliards FCFA d’irrégularités financières dans la gestion des marchés routiers entre 2015 et 2020. Les avances non remboursées, les dépenses sans justificatifs et les appels d’offres opaques se sont traduites par des routes dégradées, des chantiers abandonnés et des ouvrages rapidement inutilisables.
Cette mauvaise gestion prive le Mali d’infrastructures durables, étrangle les finances publiques et nourrit un profond sentiment d’injustice au sein d’une population déjà fragilisée par la pauvreté et la faiblesse des services sociaux de base.
Deux secteurs essentiels à la population sont, eux aussi, gangrenés par la corruption. Dans l’éducation, les irrégularités vont de la construction d’écoles fictives à la fourniture de manuels inexistants. Certains marchés d’équipements scolaires ont été confiés à des entreprises sans expérience réelle ou parfois inexistantes, ce qui a conduit à des salles de classe inachevées, des bancs absents et des élèves contraints d’étudier dans des conditions précaires.
Le secteur de la santé n’est pas mieux loti. Les détournements concernent la livraison de médicaments, les marchés d’équipements médicaux, ou encore la gestion des fonds d’urgence. Le rapport du BVG sur la gestion du Covid-19 avait déjà révélé des anomalies de plusieurs milliards de francs CFA. Une corruption qui met des vies en danger.
Une tragédie nationale
Au Mali, le secteur de la défense et de la sécurité demeure l’un des plus opaques, où le secret d’État sert souvent de couverture à la corruption. L’affaire des équipements militaires de 2014 a révélé plus de 28 milliards de francs CFA d’irrégularités, selon le Bureau du vérificateur général. Depuis, d’autres marchés militaires sont conclus sans audit ni contrôle public, favorisant surfacturations et livraisons fictives.
Cette opacité fragilise non seulement les finances publiques, mais met aussi en péril la sécurité nationale en envoyant des soldats mal équipés et mal protégés affronter le danger, victimes d’une corruption désormais enracinée.
Au-delà de ces domaines, la corruption s’étend à une multitude d’autres secteurs : énergie (EDM-SA), eau et assainissement, administration publique, collectivités territoriales, agriculture, mines, transports, télécommunications, urbanisme et foncier, culture ou encore environnement. Partout, les mêmes pratiques se répètent : marchés attribués par favoritisme, surfacturations, livraisons fictives et absence de contrôle réel. C’est tout un système qui détourne les ressources publiques au détriment des citoyens.
La corruption dans les marchés publics n’est pas qu’un chiffre dans un rapport, c’est une tragédie nationale. Chaque franc détourné prive le pays d’une école, d’une route ou d’un centre de santé. Pourtant, la corruption n’est pas une fatalité. Elle relève d’une responsabilité partagée, et le moment est venu pour les citoyens de reprendre la main.
