Monologue d’un chauffeur de taxi : « Le Mali n’est pas en règle »
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Monologue d’un chauffeur de taxi : « Le Mali n’est pas en règle »

Si vous ne voulez pas passer à côté de l’âme du peuple, à Bamako, prenez un taxi et laissez parler le chauffeur. Les chauffeurs de taxi ont aussi leur avis sur la société ou  la politique qui tranche avec celui de l’élite. Quelques minutes de trajet à échanger avec un chauffeur de taxi vaut une heure d’entretien avec les huiles et les mandarins dans les salons feutrés de Bamako, écrit le blogueur Bokar Sangaré. Il retranscrit ici les commentaires qu’il a entendus durant sa course.

Non, non, il n’y a plus de respect sur nos routes. Le respect a foutu le camp, déserté nos terres depuis le jour où, vous, les enfants de la démocratie, vous avez appris à distinguer votre main droite de votre main gauche. La preuve est facile à faire. Avant, quand on croisait un vieillard ou plus âgé que ce soit à vélo ou à moto, on lui cédait le passage.

Mon père, Dieu ait son âme, qui ne croyait ni à Dieu ni au diable, m’a dit que la démocratie des toubabs (blancs, occidentaux) allait mettre fin à l’humanisme sur nos terres. D’ailleurs, ça va te faire cligner des yeux, il a refusé d’inscrire ses enfants à l’école des toubabs. Il aimait à me répéter que dans ce pays, on a tout perdu, tout, jusqu’à notre horonya (honnêteté). Nous avons embrassé l’islam et avons tourné le dos à notre horonya, oubliant par là-même qu’on ne pouvait pas être musulman quand on n’est pas horon.

Les Toubabs ne nous aiment pas

Je vais te dire une chose, toi qui as été à l’école des toubabs. Les toubabs ont compris que nous étions trop intelligents, c’est pourquoi ils nous ont toujours empêché d’étudier dans nos langues. Ils ne nous aiment pas, et ce n’est pas dans leur bonheur qu’on s’en sortira. Pourtant, nous avons des terres bénies. Mais, je te le répète, si on ne s’en sort pas, c’est parce qu’on a tout laissé tomber. Tu as vécu la « révolution de 1991 » ? Non ? Bon, je vais te dire ce que c’était : un complot des toubabs, c’est tout. A Kati, à l’époque, j’étais parmi les jeunes qui jetaient les cailloux pour demander le départ de Moussa Traoré.

Aujourd’hui, jour après jour, la conviction s’affirme en moi que ce pays ne se construira pas, car vous les jeunes, vous ne savez faire rien d’autre que boire et fréquenter les boites de nuit. Et vous ne vous rendez compte que vous avez bu qu’après avoir chié dans le froc et vomi. C’est à peine si vous n’avalez pas la bouteille ou le verre. On boit trop dans ce pays, plus que chez les Arabes qui prennent pourtant toutes les doses.

Notre pays n’est pas en règle

Tu vois ce policier avec son sifflet vissé aux lèvres, que je lui ferais avaler si j’en avais le pouvoir ? Ces policiers nous dérangent en longueur de journée, nous les chauffeurs de taxi, sous prétexte que nous ne sommes pas en règle, alors que c’est le pays même qui n’est pas en règle. Quand je disais que nous avons tout abandonné de nos valeurs, c’est parce que aussi avant, on entendait dire Sangaré la, Kanté la, Touré la pour désigner les grandes familles. Aujourd’hui, elles ont toutes disparu au profit des petites familles.

Ce sont les toubabs qui nous ont amené ça. C’est pourquoi nos enfants ne sont ni lion ni oiseau, ni noirs ni toubabs. Ils ont tout perdu. Tu descends au restaurant Lahi… ? Nous y sommes.

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