Salif Sanogo : « Les médias publics doivent être la voix crédible face aux fausses informations »
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Salif Sanogo : « Les médias publics doivent être la voix crédible face aux fausses informations »

Face à la prolifération des fausses informations et des manipulations en ligne, les médias publics maliens ont un rôle crucial à jouer. Ancien directeur général de l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM), Salif Sanogo analyse les défis, les limites et les perspectives d’avenir des médias publics maliens face au défi de la désinformation.

Quel rôle jouent les médias publics dans la lutte contre la désinformation ?

Le rôle des médias publics est avant tout d’informer, de sensibiliser et d’éduquer. Dans ce cadre, la lutte contre la désinformation est une mission essentielle. Un média public représente le visage du pays. Certains disent que c’est « la voix du pouvoir », mais le pouvoir, c’est l’État, donc la nation dans son ensemble. La mission principale d’un média public est de diffuser une information de qualité, sourcée, vérifiable et éducative. Les médias publics doivent être la voix crédible face aux fausses informations.

La verification des faits est-elle suffisamment intégrée dans les pratiques des médias publics ?

Aujourd’hui, avec la multiplication des campagnes de désinformation, la verification des faits est incontournable. L’ORTM s’y essaie déjà à travers une émission de vérification, en partenariat avec une agence de communication. C’est une bonne initiative, même si elle reste limitée. Un média public n’est pas conçu uniquement pour la vérification des faits, contrairement à des plateformes spécialisées comme Benbere. Il peut faire des vérifications ponctuelles, mais ce ne sera jamais suffisant. C’est un embryon qui mérite d’être renforcé avec des moyens humains et techniques.

Quelles sont les principales difficultés pour les médias publics face à la désinformation ?

Le premier défi tient au manque de ressources humaines qualifiées, car il faudrait du personnel formé spécifiquement à la vérification des faits. S’ajoutent à cela des moyens financiers limités, avec une masse salariale peu extensible qui freine toute initiative structurelle. Le public, de plus en plus exigeant, souhaite comprendre l’origine des informations, leur finalité et les intentions qui les sous-tendent. Enfin, la crédibilité des médias publics est parfois mise en doute, notamment lorsque ceux-ci diffusent des contenus officiels sans possibilité de remise en question, alimentant une certaine méfiance face à leur objectivité.

Qu’en est-il de la collaboration entre médias publics et privés dans la lutte contre la désinformation ?  

Il ne devrait pas y avoir de barrière. Quand j’étais directeur général, ma première démarche a été de rencontrer la Maison de la presse pour rappeler que nous faisons partie de la même famille dont la mission est d’informer la population. La distinction public/privé crée une dichotomie artificielle. En réalité, il existe une complémentarité. Les médias publics ont parfois accès à des informations officielles exclusives, tandis que les médias privés obtiennent des informations de terrain. Dans un pays en crise, la synergie est indispensable.

Quelle est votre perception de l’impact des deepfakes et de l’intelligence artificielle sur la désinformation ?

Absolument, les fake news deviennent de plus en plus sophistiquées. On peut désormais créer des images ou vidéos très réalistes et faire dire à une personne ce qu’elle n’a jamais dit, ce qui pose un problème majeur dans un contexte où une grande partie de la population, souvent peu alphabétisée, croit immédiatement à ce qu’elle voit. Il est donc nécessaire de mettre en place des chartes internes sur l’usage de l’IA, de renforcer une législation qui n’avait pas anticipé l’ère de l’intelligence artificielle, et de développer des outils tout en formant les journalistes et en sensibilisant le public avec l’appui d’acteurs comme Benbere.

Avez-vous des exemples concrets de désinformation contrée par l’ORTM ?

On peut évoquer plusieurs cas où l’ORTM a joué un rôle actif dans la lutte contre la désinformation. Notamment à travers son émission « Démêler le vrai du faux », qui s’efforce de déconstruire les intox circulant en ligne. L’ORTM a par exemple démenti des vidéos attribuées à des groupes terroristes, en révélant qu’il s’agissait d’images manipulées ou issues de contextes étrangers.

Quel avenir pour les médias publics face à la désinformation croissante ?

Dans un contexte marqué par l’explosion des fausses informations, les médias publics doivent rester des sources crédibles. La radio restera dominante, surtout dans les zones peu connectées, tandis que les médias en ligne peinent encore à toucher les masses. L’avenir passera aussi par un encadrement plus strict du métier. Seuls les journalistes professionnels, détenteurs d’une carte de presse, devraient pouvoir exercer. C’est une condition essentielle pour limiter la désinformation et renforcer la confiance du public.

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