Pour Patrick Ertel, alias « Fakuru Keïta », photographe franco-malien, à cette situation d’urgence provoquée par une gouvernance déficiente et les initiatives irresponsables d’une clique de leaders ambitieux et manipulateurs, il aurait été préférable de revendiquer le changement par les moyens républicains. Mais, ce qui est fait est fait, et nous n’avons plus d’alternative : nous devons réussir. On ne remettra pas le dentifrice dans le tube.
La fausse révolution fomentée par de vieux caïmans, avides de pouvoir, a placé le pays dans la confusion. Le peuple allait être, une fois de plus, floué par des politiciens sans scrupules qui cherchaient à profiter de l’exaspération légitime des Maliens pour prendre le pouvoir et s’emparer des clés du magasin.
Puis, l’armée est intervenue pour chasser les dirigeants honnis. Un point de non-retour était atteint, le dentifrice n’allait plus retourner dans le tube. Ainsi soit-il. Prions pour que, pour une fois, les officiers à l’origine de ce coup d’État soient sincères, même si leur discours ressemble à ceux de tous les putschistes de triste mémoire qui se sont succédé en Afrique et dans le monde. L’avenir nous dira si l’initiative des militaires aura permis au Mali d’échapper au remplacement d’une clique de prédateurs par une autre. Mais, nous qui crions aujourd’hui victoire, mesurons-nous bien ce qui nous attend ?
Comme on pouvait s’y attendre, la France, la Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la mystérieuse et informe « communauté internationale » ne vont pas nous faciliter les choses. Déjà, une forme d’embargo est en cours. Ce qui signifie que le peuple va payer les pots cassés : coupures de courant, pénuries d’alimentation, de médicaments, de gaz, de carburant, difficultés d’approvisionnement, difficultés à l’exportation de nos productions et autres désagréments. Allons-nous résister et faire bloc au nom de la solidarité nationale ? Ou bien allons-nous nous replier égoïstement dans une solidarité sélective, à nos foyers, nos clans, nos ethnies ? L’esprit collectif né dans la rue survivra-t-il aux épreuves du quotidien ?
Moment de flottement
En même temps, nous sommes confrontés à ce qui est faussement désigné par l’euphémisme « crise sécuritaire », alors qu’en fait il s’agit d’une guerre dans laquelle nous étions déjà en très mauvaise posture avant les événements actuellement en cours. Nous devons nous attendre à ce que les ennemis du Mali mettent à profit ce moment de flottement pour consolider leur avantage sur le terrain.
Ce n’est plus le moment d’invoquer nos glorieux guerriers du passé, ni de proférer de prétentieux discours à la gloire de nos forces armées, mais de faire une évaluation honnête et réaliste de nos capacités à répondre à la menace, d’identifier nos forces et surtout nos nombreuses faiblesses et d’adopter les mesures qui nous permettront de faire face. Il s’agira aussi d’accepter, avec gratitude et humilité, les aides identifiées comme étant bien intentionnées, tout en restant lucides sur le fait que nous serons d’une manière ou d’une autre les débiteurs de ceux qui nous auront aidés.
Reconstruire les institutions à incarner
Au plan politique, il va s’agir de reconstruire dans l’urgence les institutions de la République, et de trouver les femmes et les hommes dignes de l’incarner et prêts à se mettre sincèrement au service de la nation. On entend ici et là mentionner des noms qu’on avance comme le prochain « homme fort du Mali ». Ce mythe de l’homme fort est dangereux pour la réflexion politique, car il aboutit généralement à placer au pouvoir quelqu’un qu’on pourra, par la suite, accuser de tous les maux : une sorte de bouc émissaire par anticipation, qui sera honni à la mesure de ce qu’il aura été applaudi à son entrée en scène.
Ce sont la compétence, la capacité d’analyse, le pragmatisme, le dévouement au pays, et surtout la rigoureuse honnêteté qui devront guider nos choix. N’attendons pas d’une seule personne, quelle qu’elle soit, qu’elle nous décharge de nos responsabilités et des tâches à accomplir. Notre vigilance sera d’autant plus mise à l’épreuve que l’éducation politique, et même l’éducation tout court, fait hélas encore défaut à une part importante de nos concitoyens, ce qui fausse le fonctionnement d’une démocratie digne de ce nom.
En finir avec la corruption
Ce qui nous amène à l’un des objectifs vitaux pour les Maliens : en finir avec la corruption. Rappelons à ceux dont la mémoire est courte que la lutte contre la corruption a fait partie des thèmes de campagne d’absolument tous les candidats à chaque élection depuis toujours, qu’elle a figuré sur tous les plans de route à chaque prise de pouvoir, légitime ou non, avec les résultats que l’on sait. Ici aussi, le réalisme est nécessaire : ce que nous nommons « corruption » est devenu, au fil des générations, le mode de vie normal des Maliens au quotidien, presque un substitut à l’impôt en ce qu’il assure une forme de redistribution des richesses. Mais elle est occulte, frauduleuse et profondément inégalitaire.
Donc, nous ne pourrons pas éluder les questions telles que celles-ci : combien d’entre nous sont prêts à demander un reçu au policier qui nous trouve en infraction, afin que notre argent aille dans les caisses de l’État ? Combien de policiers vont cesser de chercher leur « nasongo » auprès des Sotrama, Durunin et Taximan, et commencer à verbaliser les dames en gros bazin qui circulent dans les gros 4×4 de service de leurs maris hauts fonctionnaires ? Combien de « mototigui » vont payer à temps leur vignette au lieu de changer d’itinéraire quand ils voient un « tinitigui » ? Combien de citoyens vont renoncer à appeler leur tonton pour faire avancer plus vite le dossier qu’ils ont déposé au ministère ? Combien de chefs d’entreprise vont accepter le jeu règlementaire des appels d’offres, et combien de fonctionnaires vont en assurer le déroulement normal ? Bref, combien sont prêts à faire le nécessaire effort de changer des habitudes profondément ancrées pour incarner le changement que nous souhaitons?
Car ce sont les réponses à ces questions qui détermineront le succès ou l’échec de cette entreprise. Il aurait certainement été préférable de ne pas avoir été jeté dans cette situation d’urgence par une gouvernance déficiente et les initiatives irresponsables d’une clique de leaders ambitieux et manipulateurs, préférable de revendiquer le changement par les moyens républicains. Mais ce qui est fait est fait, et nous n’avons plus d’alternative : nous devons réussir.
Vraiment nous n’avons plus droit à l’erreur, le mali ma patrie je ferai tout pour participé au changement de ma nation vive le Maliba.