A Tombouctou, dans une cité figée par la crise, le tourisme en apnée
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A Tombouctou, dans une cité figée par la crise, le tourisme en apnée

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, Tombouctou a perdu les visiteurs qui faisaient vivre ses guides, artisans et acteurs culturels. Depuis 2012, entre insécurité et Covid-19, les touristes ont déserté, les agences et que les hôtels ont fermé.

Tombouctou, autrefois connue pour son riche patrimoine immatériel et son savoir-faire local, était une ville unique. Cette particularité a attiré pendant des décennies de nombreux visiteurs curieux de découvrir la mystérieuse cité des 333 Saints. La ville légendaire disposait de nombreuses potentialités touristiques et culturelles, notamment, les habitations des explorateurs, les manuscrits anciens, mais aussi des produits artisanaux fruits de l’expertise locale, qui ont fait sa renommée nationale et internationale.

Guide touristique à Tombouctou, Billy Arby raconte son quotidien devenu incertain. « Je gagnais ma vie grâce au tourisme. Mais depuis 2012, les touristes ne viennent plus et je suis au chômage », déclare-t-il, regrettant  ne plus pouvoir exercer, même quand des visiteurs reviendraient. « Aujourd’hui, ce sont les policiers qui les guident. Nous, on n’a même plus le droit de s’approcher », déplore-t-il. Même constat chez Moussa Ag Ibrahim, guide touristique et chamelier qui affirme : « Avant, on passait la nuit sur les dunes avec les touristes. Maintenant, tout est chronométré. Même si des étrangers venaient, on ne pourrait pas travailler librement ».

Visibilité aux artisans et artistes locaux

Du côté de la Maison des artisans, l’ambiance est morose. Kongho Tandina, vannière, tresse encore ses nattes et paniers. Mais pour qui ? « Depuis que la ville est en zone rouge, personne ne vient acheter. Nos produits s’empilent. On ne vend que lors des foires ou festivals hors de Tombouctou ». Elle évoque ainsi deux rares opportunités locales, notamment le Festival du Vivre ensemble et le nouveau festival Lassal Terey. « Ces moments nous aident un peu, mais ce n’est rien comparé à l’époque où les touristes achetaient directement ».

Malgré la crise, certaines initiatives culturelles tentent de maintenir le lien avec le patrimoine. Le Festival du Vivre ensemble rassemble les communautés autour de la paix. Le festival Lassal Terey, récemment lancé, redonne de la visibilité aux artisans et artistes locaux.

Mohamed Maouloud, tailleur et promoteur du projet Art Textile d’Afrique, souligne la gravité de la crise. « Beaucoup d’artisans ont abandonné. Sans clients ni soutien, ils ne peuvent pas continuer. Pourtant, notre artisanat porte l’identité de Tombouctou », confie-t-il. Il se souvient des visites dans ses ateliers, des commandes venues de l’étranger. « Avant, les touristes venaient dans nos ateliers, repartaient avec des créations uniques. Aujourd’hui, je publie mes œuvres sur Internet. Ça me permet de rester en contact avec les passionnés d’artisanat, même à distance », explique-t-il, toujours ambitieux : « Le marché local est trop restreint. Pour relancer l’artisanat, il nous faut de la formation, du financement, et des espaces d’exposition », poursuit Mohamed.

Le président de la Chambre des métiers de Tombouctou, Baba Djitteye, déplore, lui, le manque d’actions concrètes. « Il n’existe pas d’initiative structurée pour relancer l’artisanat touristique. On participe à quelques foires, mais l’impact reste limité », indique-t-il. Il plaide ainsi pour la création d’un fonds spécial pour soutenir artisans, guides et hôteliers. « Sans appui, ces acteurs ne peuvent pas se préparer à accueillir les visiteurs. Il faut un soutien durable », souligne le président Djitteye.

Tête d’affiche du tourisme

Le directeur régional du tourisme et de l’hôtellerie de Tombouctou, Sékou Touré, dresse un bilan réaliste. « Le tourisme culturel ne se porte pas bien, mais la résilience est là. La liberté de circulation est restreinte, or sans mobilité il n’y a pas de tourisme », précise-t-il. Pour lui, la solution ne peut être uniquement événementielle : « Les festivals sont souvent bénéfiques, pour une destination touristique. Ces événements permettent à nos opérateurs touristiques de se frotter les mains. Toutefois, leur caractère temporaire ne doit pas nous faire oublier la nécessité de développer une activité touristique pérenne ». Touré affirme garder espoir. « Tombouctou est une ville ancienne, avec des sites classés au patrimoine mondial. Dès que la crise sera derrière nous, elle peut redevenir la tête d’affiche du tourisme malien », dit-il.

Malgré les difficultés, l’espoir demeure. Tous les acteurs rencontrés gardent foi en une relance possible, à condition de restaurer la sécurité et d’adapter les circuits touristiques au contexte actuel. Le potentiel est toujours là : les monuments sont debout, les « traditions » vivantes, le savoir-faire intact.

Redonner vie au tourisme à Tombouctou, ce n’est pas seulement faire revenir les visiteurs. C’est offrir un avenir à une économie locale, préserver une mémoire collective, et redonner de l’espoir à une génération de professionnels oubliés.

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